BATMAN : ANNÉE NOIRE POUR LE CHEVALIER DE DC COMICS
The Killing Joke & Un Deuil dans la Famille
Avec sa collection Batman Chronicles, Urban Comics propose de découvrir ou de redécouvrir, année par année, les récits majeurs mettant en scène le Chevalier Noir de Gotham City. L’occasion de constater que l’année 1988 fut un véritable tournant pour l’homme chauve-souris.
PICTURES OF YOU
Depuis sa première apparition dans le vingt-septième numéro de Detective Comics en 1939, l’histoire de Batman est aussi riche en rebondissements qu’en événements traumatisants. Du meurtre de ses parents à son affrontement avec Bane, dont il ressortira paralysé, la vie de Bruce Wayne n’est qu’une succession de drames qui rivalisent de violence les uns avec les autres et qui ont durablement impacté les lecteurs qui suivent ses aventures.
Dans ce premier tome de Batman Chronicles consacré à l'année 1988, on trouve deux sagas qui redéfinissent totalement le Chevalier Noir de DC Comics et tracent son chemin pour les décennies à venir : The Killing Joke et Un Deuil dans la Famille.
L’avantage de la collection est, en plus de proposer une sélection d’épisodes tout à fait pertinente, d’apporter tout le contexte éditorial nécessaire à la bonne compréhension des récits. Chaque arc constituant ce volume est accompagné d’un commentaire de Bob Greenberger, éditeur chez DC Comics pendant 20 ans, dont le regard expert et la connaissance des coulisses enrichissent considérablement l’expérience de lecture. On trouve également plusieurs extraits du courrier des lecteurs de l’époque, reflet des préoccupations et des réactions de fans particulièrement engagés.
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En 1987, avec la publication de Batman : Year One de Frank Miller et David Mazzucchelli, DC Comics prend conscience de la viabilité du découpage de ses séries régulières en arcs scénaristiques et de la possibilité de s’éloigner de la sacro-sainte continuité pour séduire un nouveau lectorat. À partir de là, l'éditeur va régulièrement proposer des one shot hors continuité, mais aussi des mini-séries en plusieurs parties, généralement entre quatre et six, s'intégrant au sein de séries régulières.
De son côté, l’artiste Brian Bolland, qui a œuvré sur Camelot 3000 et dont le rythme de travail ne convient pas à une série mensuelle, propose à DC Comics de réaliser une histoire complète de Batman qui paraîtrait dans un format qui explose à cette époque, et dont l'appellation sonne très chic : le Graphic Novel. Le scénariste Alan Moore, qui vient de connaître le succès avec Watchmen, est choisi pour écrire ce qui doit aussi servir d'origin story au Joker, s'inspirant en partie du récit "The Man Behind the Red Hood", paru en 1951 dans Detective Comics #168.
C’est ainsi que naît The Killing Joke, publié au début de l’année 1988 comme un roman graphique, et présentant un récit en deux temps.
Dans le présent, on suit Batman qui doit faire face au Joker, évadé une nouvelle fois de l'asile d'Arkham et bien décidé à détruire la vie du commissaire Gordon, afin de montrer aux habitants de Gotham que même le meilleur des hommes peut sombrer dans la folie après des événements traumatisants. Pour mener à bien ce plan, le Clown Prince du Crime s’attaque à Barbara Gordon, fille chérie du commissaire, qui a abandonné le costume de Batgirl quelques semaines plus tôt dans Batgirl Special #1. Gravement blessée par balle, cette dernière va perdre l'usage de ses jambes et endossera par la suite le rôle d’Oracle dans la Bat-Family.
Le vilain déchaîné kidnappe ensuite le commissaire Gordon qu'il séquestre dans un ancien parc d'attraction, puis le force à regarder des photos de l'agression de sa fille. Batman intervient à temps et porte secours à Gordon, avant un face-à-face final avec le Joker durant lequel le Chevalier Noir est plus que jamais sur le point de transgresser l'une des règles qu'il s'est imposées : ne pas tuer les criminels.
En parallèle, une série de flashbacks nous raconte comment un comédien anonyme raté a choisi la voie du crime pour survivre et garder l'amour de sa vie, avant de finalement devenir le Joker. Son parcours chaotique, où chaque espoir de réussite se conclut systématiquement par un échec et où chacun de ses choix s’avère être le mauvais, s’apparente à une descente progressive vers une folie criminelle incontrôlable.
Encore aujourd’hui, The Killing Joke est au centre de plusieurs débats et polémiques.
Premièrement, le traitement réservé à Barbara Gordon, évident reflet de la considération portée par les auteurs majoritairement masculins de DC Comics aux personnages féminins, a été largement critiqué par plusieurs associations féministes.
Symptomatique du procédé narratif des “Women in Refrigerators” décrit par l’autrice Gail Simone, la violence gratuite et disproportionnée envers Barbara a pourtant déjà été édulcorée par DC Comics avant la publication de The Killing Joke.
En effet, si le viol de la justicière est largement suggéré sur les photos que le Joker montre au commissaire, la version originale prévue par Moore et dessinée par Bolland ne laissait aucun doute sur ce fait. Avec le recul des années, Alan Moore lui-même regrettera d'être allé si loin dans son scénario.
Quant à la question, longtemps restée sans réponse, de la mort du Joker à la fin du récit, elle a depuis longtemps trouvé réponse avec l’intégration de The Killing Joke à la continuité classique de DC Comics. Malgré cela, le roman graphique de Moore et Bolland reste soumis à de multiples interprétations nées de la nature même des propos tenus par le Joker quand il raconte son prétendu passé, ce qui permet à l’ensemble de conserver un petit fond méta typique des productions du scénariste britannique.
Quoi qu’on puisse en penser, et malgré le poids des années, The Killing Joke a profondément marqué l’histoire de Batman et n’a assurément pas volé son Eisner Award.
On notera enfin que la version de The Killing Joke présentée dans ce tome de Batman Chronicles a la particularité d'être proposée avec sa colorisation d'origine de John Higgins, maître d’œuvre aux côtés de Dave Gibbons sur Watchmen. Un retour aux sources qui permet de redécouvrir ce récit mythique dans sa forme originale, et me semble particulièrement intéressant si vous êtes un habitué de la version recolorisée par Bolland lui-même. Les couleurs de Higgins, plus chaudes et plus organiques, offrent des ambiances et un éclairage totalement différents.
EXISTENCE IS PUNISHMENT
À partir du milieu des années 1980, le grand dépoussiérage de Crisis on Infinite Earths a rebattu les cartes de l'univers DC et le microcosme de Batman est en plein bouleversement. Dick Grayson, devenu Nightwing, poursuit sa carrière de justicier en solo et avec les Teen Titans, tandis que Jason Todd a enfilé le costume du jeune prodige Robin pour seconder Bruce Wayne dans ses aventures.
Seulement, ce nouveau sidekick est loin de faire l’unanimité. Perdant rapidement en popularité et considéré comme un clone au rabais de Dick Grayson, le personnage est vite considéré comme un boulet par Jim Starlin et Jim Aparo, équipe créative aux commandes de la série régulière, qui ne savent plus trop quoi en faire.
Pour dire les choses clairement : lecteurs et artistes trouvent ce nouveau Robin assez insupportable et antipathique, au point qu’il est explicitement question de le faire disparaître pour de bon.
S'inspirant de The Dark Knight Returns de Frank Miller, dans lequel on apprenait la mort de Robin, et cherchant un moyen d’exploiter la technologie du sondage par téléphone via des appels surtaxés, l'éditeur Dennis O'neil propose de faire voter les lecteurs pour choisir le sort destiné à Jason : la vie ou la mort !
Jim Starlin s’arrange alors pour rendre Robin détestable au possible en montrant le personnage sous son plus mauvais jour dans les numéros 424 et 425 de Batman, juste avant le début de la mini-série Un Deuil dans la Famille, qui s’étale des numéros 426 à 429.
A Death in the Family s’ouvre donc sur un Jason Todd en conflit avec Batman, qui lui reproche de prendre des risques inconsidérés et d'employer des méthodes trop brutales. Lorsqu’il apprend qu'on lui a menti sur ses origines, Jason décide de partir à la recherche de sa mère biologique et termine sa course au Moyen-Orient, où il croise la route du Joker venu vendre une bombe atomique à des terroristes.
Le jeune prodige finit par retrouver sa mère, mais découvre que le Joker leur a tendu un piège. Après avoir violemment battu Jason à coup de pied-de-biche, le Clown Prince du Crime entrave Robin avec sa mère dans un entrepôt abandonné et enclenche une bombe à retardement avant de s'enfuir ! Jason, déjà grièvement blessé, tente de sauver sa mère de l'explosion, mais sans succès. Batman arrive trop tard et ne peut que constater que son jeune faire-valoir a été tué par son pire ennemi.
Robin tué par le Joker ? Rien n’est moins sûr. Car c’est avant tout le vote du public qui a tué Jason Todd. Si elle compte parmi les événements les plus marquants de la vie du Chevalier Noir, la mort de Jason Todd est aussi, et avant tout, un événement commercial qui a donné un affichage médiatique conséquent à la série de Starlin et Aparo. En jouant sur l'interactivité avec le public en l'invitant à voter via deux numéros de téléphone payants, l'un pour choisir de laisser vivre Jason, l'autre pour décider de le tuer, DC Comics provoquera plusieurs controverses, tant sur la méthode que sur le contenu de l'histoire.
Le résultat final du vote est très serré, puisque moins d'une centaine de voix séparent les deux options. Une rumeur tenace raconte même que certains lecteurs ont triché, programmant leur ordinateur pour composer régulièrement l'un des deux numéros de téléphone, afin de fausser le résultat ! La mort de Jason Todd s'est donc jouée in extremis, et une fin alternative avait été prévue au cas où le choix de le faire survivre l'aurait emporté.
Même si le personnage reviendra quelques années plus tard sous le masque de Red Hood, la mort de Jason Todd a longtemps été un élément essentiel de la psychologie de Batman et la source de plusieurs récits majeurs de son univers.
Tout comme le graphic novel de Brian Bolland et Alan Moore, A Death in the Family inspirera de nombreuses autres sagas, de Batman : Under the Red Hood à Three Jokers, pour des résultats plus ou moins convaincants et inventifs, mais rappelant systématiquement l'importance des publications de cette année 1988 dans l'histoire éditoriale du Chevalier Noir.
Enfin, ce tome de Batman Chronicles démontre à merveille la façon dont Starlin va influencer le développement de l'univers de l'homme chauve-souris en y apportant un contexte géopolitique très réaliste.
D'abord, avec la saga Ten Nights of the Beast !, construite sur le principe de la mini-série en quatre épisodes et qui introduit le mercenaire soviétique KGBeast, puis en faisant du Joker un ambassadeur de l'Iran dans Un Deuil dans la Famille.
Un traitement très contemporain vis-à-vis du positionnement politique des États-Unis à l'époque, mais aussi très cliché, pour ne pas dire caricatural, qui vaudra à Jim Starlin et Jim Aparo d'être taxés de racisme quant à leur vision du Moyen-Orient.
Avec ses 576 pages et son sommaire aussi riche que complet, Batman Chronicles : 1988 - Volume 1 est incontestablement une pierre angulaire de l’univers du Chevalier Noir de Gotham. Que vous soyez néophyte en matière de comics ou lecteur confirmé, ce tome imposant mérite sa place dans votre bibliothèque tant pour son caractère historique que pour le plaisir de lecture ou de relecture qu’il offre aux amateurs de la chauve-souris détective.
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Je ne lis que des séries comme Suicide squad rebirth et Justice league
- intégrale et autres etc ... les sagas ne m'intéressent pas . En plus
quand les dessins changent de dessinateurs je déteste . Pour ce qui
est de la polémique au sujet de l'agression du personnage de Barbara
Gordon, je ne comprends pas trop ... Si je fais le parallèle avec le
jeu last of us 2 celui-ci n'a pas été censuré ... Je suppose que le
comics est sorti trop tôt les gens n'étaient pas prêts. Il est non
censuré maintenant The Killing Joke si je comprends bien ?
J'ai une question : dans " deuil dans la famille " est ce que Robin
meurt ? Je ne comprends pas pourquoi dans batman détective et dans
Deathstroke vs batman il y a une allusion à sa mort, c'est un monde
parallèle dû au flash point ?