Depuis plusieurs années maintenant, Urban Comics et Panini proposent des collections à petit prix. Que ce soit l’offre d’été de Urban ou le Printemps des Comics et la collection Carrefour de Panini, ces offres génèrent à chaque fois engouement, réactions, et débats enflammés.
Tout à 5 balles ou j’remballe !
Qu’il s’agisse de récits classiques de DC Comics, de compilations d’épisodes mettant en scène différents héros Marvel, ou de saga incontournables de nos super-héros préférés, la sortie de ces offres promotionnelles est devenue un événement incontournable, attendue et commentée par tous les sites de news et les internautes passionnés de bande dessinée américaine.
Du côté de Panini, on retrouve plusieurs collections disponibles dans les magasins Carrefour pour un prix défiant toute concurrence : 2,99€ le tome !
Marvel : Les Grandes Batailles, Le Côté Obscur ou encore Les Grandes Alliances, mais aussi Star Wars : Histoires Galactiques et Chroniques d’une Galaxie Lointaine, des comics souples dans un format plutôt correct, qui mettent en avant des personnages qui parlent instantanément à la majorité du grand public, même à celles et ceux qui ignorent jusqu’à l’existence des comic books.
S’ajoute à cela l’offre cartonnée du Printemps des Comics, dont la première édition proposait des récits plus récents et particulièrement qualitatifs pour 5,99€, tandis que la collection 2022 se concentrait sur les grande sagas de L’Homme Araignée, sans doute pour faire écho au succès colossal de Spider-Man : No Way Home au cinéma, au prix de 6,99€ le tome.
Chez Urban, chaque été est marqué par la sortie d’une dizaine de volumes à 4,90€, proposant des récits accessibles aux néophytes, dont certains tout bonnement incontournables, dans un format souple à la durée de vie ne dépassant parfois pas la première lecture, mais à la pagination impressionnante pour un tel prix.
Enfin, dans un registre un peu différent, car dénué de tout aspect périodique ou promotionnel, l’éditeur de DC Comics en France a annoncé récemment la collection Urban Nomad, proposant des comic books au format proche d’un roman de poche, pour des prix de 5,90 à 9,90€, et dont les premiers titres annoncés confirment la volonté de l’éditeur de cibler un public plus mature et adepte de fantastique ou de science-fiction, au-delà du genre super-héroïque, systématiquement assimilé aux comics.
Des initiatives parfois critiquées pour leur aspect concurrentiel agressif, ou accusées d’adopter des formats ne mettant pas en valeur le matériau d’origine.
Ce qui est sûr, c’est que le succès est au rendez-vous, ces titres faisant partie des meilleures ventes en matière de comics, loin devant les collections traditionnelles, et encore plus devant les séries indépendantes qui peinent bien souvent à trouver leur place sur un marché aux horizons déjà restreints en temps normal.
Il y a quelques semaines, lors d’un passage éclair à la FNAC, j’étais moi-même assez étonné de constater que deux des titres de la collection Spider-Man du Printemps des Comics de Panini comptaient parmi les 10 meilleures ventes de BD, tous genres confondus.
Batmaniac
Impossible de parler de ces collections sans évoquer l’omniprésence de Batman chez Urban Comics.
Pour la troisième année consécutive, Batman est au centre de la collection d’été de Urban. En 2020, 6 volumes sur les 10 proposés au prix de 4,90€ mettaient en scène Batman et son univers. En 2021, c’était 7 sur 10.
Pour cette année 2022, c’est tout simplement l’intégralité de la collection qui est centrée sur Batman.
Sur les réseaux sociaux, beaucoup s’en plaignent et font parfois remarquer, à juste titre, que certains personnages de DC Comics, comme Shazam, Aquaman ou Green Lantern, n’ont même pas eu droit à un seul volume.
Sur ce point, je ne peux que les rejoindre, car il me semble que, même cantonnée au genre super-héroïque, la bande dessinée américaine propose déjà une forme de diversité des contenus qui mériterait d’être exposée lors de ces opérations.
Alors pourquoi autant de Batman ? La raison la plus pragmatique possible, c’est que Batman fait vendre.
Le Chevalier Noir est régulièrement en tête des ventes sur le petit marché des comics en France et reste également la série de super-héros au plus gros tirage pour ses volumes librairie chez nous. On peut donc facilement comprendre que face au succès commercial du personnage et de son univers, Urban Comics mise sur la sécurité en proposant pour cette offre, au prix défiant toute concurrence, des comic books dont on peut être certain qu’ils seront facilement écoulés.
Les comics ne représentent qu’une modeste part du marché de la BD en France et une opération telle que celle-ci représente nécessairement un pari pour l’éditeur : tenter de séduire de nouveaux lecteurs qui deviendront potentiellement des clients réguliers. Aussi, la prise de risque ne peut pas être inconsidérée.
D’ailleurs, cette surreprésentation de l’Homme Chauve-Souris dans les offres d’été de Urban Comics trois années de suite n’est pas un cas isolé.
Entre le Batman Day, les packs découverte et les opérations autour de certaines collections comme le Black Label, l’éditeur propose régulièrement aux fans de mettre la main sur des tirages spéciaux de récits centrés sur le Chevalier Noir de Gotham City.
Et, de façon bien plus large, Batman est au centre d’un phénomène de collectionnite majeur partout sur la planète depuis des années.
Des figurines en passant par les mugs, les t-shirts, et bien évidemment les comics originaux ou en tirage limité, Batman fait sans doute partie des personnages de comic book les plus collectionnés et appréciés des fans.
Et tout cela est d’autant plus vrai avec la sortie de The Batman, succès commercial et critique, qui a une nouvelle fois confirmé le statut incontournable du Chevalier Noir auprès du grand public. Quand on pense super-héros, on pense instantanément à Batman, et il est donc logique qu’il serve de produit d’appel.
Enfin, l’univers de l’Homme Chauve-Souris est si développé sur le papier qu’il ouvre une porte vers quelque chose de pratiquement infini au primo-lecteur qui décide de poursuivre l’aventure, assurant tant à l’éditeur qu’aux libraires de conserver un client rendu curieux pour longtemps, ce qui n’est pas négligeable.
Entre le PQ et les coquillettes…
Une chose que certains ont peut-être oubliée, c’est que ces offres ne s’adressent tout simplement pas aux fans de comics. Ou en tout cas, pas seulement à eux !
L’idée derrière cette opération, c’est de provoquer un achat coup de coeur chez le client de supermarché lambda, qui profitera des courses hebdomadaires en famille pour assouvir sa curiosité pour les comics de super-héros, et à qui Batman, par exemple, semblera plus familier et facile d’accès pour toutes les raisons évoquées précédemment.
Alors bien sûr, celles et ceux qui sont déjà lectrices et lecteurs de comics profitent également de ces offres bon marché pour compléter leur collection, ou découvrir de nouveaux récits à moindre coup, mais ce n’est, à mon avis, pas le but premier dans la stratégie des éditeurs.
Ce qui est sûr, c’est que si vous êtes fans de comics et que vous trouvez ces collections trop cheap, et bien c’est tout simplement parce que vous avez passé le cap de l’effet découverte qu'elles doivent provoquer. Vous n’êtes plus la cible, c’est comme ça.
Vous même, vous avez sûrement déjà été dans cette position de nouveau lecteur cherchant à faire ses premiers pas dans l’univers des comics, et je parie qu’au moins l’une des œuvres sélectionnées par les éditeurs a fait partie de vos premières lectures.
Pour que le petit marché des comics perdure, tant en France qu’au États-Unis, il est important pour les éditeurs de séduire continuellement un nouveau lectorat, et il serait donc assez fou de jeter la pierre à une opportunité dont vous-même auriez pu profiter il y a encore quelques années en tant que jeune lecteur !
Parmi les débats qui reviennent souvent autour de ces collections, outre la sélection des titres et des héros mis en avant, il a la saturation du marché provoquée par l’afflux soudain de BD pas chères, qui feraient de l’ombre aux autres productions, et leur mauvaise distribution dans les librairies, notamment celles spécialisées en comics.
De mon point de vue, ces deux questions sont typiques des œillères portées par les fans de comics qui s’imaginent que tout un chacun dépense, comme eux, jusqu’à plusieurs centaines d’euros par mois pour lire des comic books.
En fait, le lecteur français moyen se contente de quelques bandes dessinées par an et il est tout à fait probable que ce Batman à cinq euros soit l’une de ses seules lectures de l’année, aux côtés du dernier Astérix.
Car oui, ce qui vous passionne n’est parfois qu’un divertissement temporaire, voire jetable, pour d’autres, et il faut savoir l’accepter.
Si ces collections n’ajoutent qu’un comic book par an à la bibliothèque de quelques milliers de lecteurs occasionnels, et bien c’est déjà énorme pour alimenter ce long processus de démocratisation et de reconnaissance de la bande dessinée américaine chez nous.
Il en va de même pour la distribution des titres en librairie.
Les rendre disponibles au-delà des rayons des supermarchés me semble une évidence, et même une nécessité, mais ce que l’on a tendance à omettre, c’est que personne ne rentre dans une librairie spécialisée sans avoir une bonne raison de le faire.
Êtes-vous déjà entré dans une boutique dédiée au modélisme, à la pêche, aux sports de combat, ou même à la puériculture sans raison ? C’est peu probable.
Pour entrer dans une boutique dans laquelle on vend des comics, encore faut-il savoir ce que l’on vient y chercher, et ce n’est généralement pas le cas d’un néophyte.
Certes, il existe des contre-exemples de gens qui, poussés par l’envie ou la curiosité, se lanceront dans l’inconnu sans craindre de se confronter à des gardiens du temple aigris, et parfois moqueurs. Mais ce premier comic book à 5 euros, c’est un premier pas dont la facilité est incomparable.
Aussi, même s’il est difficile de connaître le taux de conversion exacte de primo-lecteurs occasionnels, achetant un Batman ou un Docteur Strange entre une boîte de petits pois et un paquet de Choco Pops, en lecteurs réguliers fréquentant les comic shops, et bien j’ai tendance à penser que ces offres ne font que démultiplier les chances de rendre cela possible.
Et par extension, le nouveau lecteur conquis par son achat n’aura que l’embarras du choix en passant la porte d’une librairie, là où, de toute évidence, les collections à petits prix limitent les possibilités.
Pour moi, ces collections ne saturent en rien le marché, puisqu’elles visent en priorité des gens qui n’auraient, de toute façon, jamais acheté un comic book de leur vie, encore moins une production indépendante, s’ils n’étaient pas tombés sur ces comics à 5 euros.
J’adorerais qu’on me démontre le contraire, mais ces offres restent pour moi l’une des meilleures solutions pour recruter massivement de nouveaux lecteurs, et ce même si le taux de conversion sur la durée s'avérait extrêmement faible.
On passera sur ces salopards de spéculateurs qui iront revendre des bouquins à 4€90 le triple de leur prix sur des sites d’enchères ou d’occasion, et qui ne mérite même pas notre mépris le plus primaire, pour se rappeler des pépites mises à disposition des lecteurs au fil des ans pour une somme des plus modiques.
The Dark Knight Returns et Daredevil de Miller, Thor de Jason Aaron, Superman Red Son de Millar, le trop confidentiel Wonder Woman dessiné par Nicola Scott, La Dernière Chasse de Kraven, et même Watchmen ou The Killing Joke annoncés dans le collection Urban Nomad, la liste est tellement longue qu’il m’est impossible de sélectionner mes préférés.
Alors, oui, ces offres ne sont sans doute pas parfaites, mais les accuser de tous les maux et ne voir que leurs défauts revient ni plus ni moins à tirer sur l’ambulance.
Devenir un lecteur régulier est avant tout une question de temps, d’implication, et de budget.
De mon point de vue, l’essentiel n’est pas tant de transformer chaque spectateur d’un film Marvel en un potentiel lecteur acharné, ou de faire en sorte que chaque comic book Batman vendu à 5 euros transforme l’appartement de son acquéreur en poussiéreux mausolée dédié à l’Homme Chauve-Souris.
La bande dessinée est un art vivant, qui évolue, qui traverse les époques et qui mute en fonction d’une infinité de paramètres. Offrir ne serait-ce qu’une seule fois l’opportunité à un individu totalement étranger aux comics de mettre le pied dans cet univers, rien que pour quelques heures, c’est déjà ouvrir une porte dont le rôle peut être capital dans la mise en avant d’une culture trop souvent malmenée.
Jusqu’à la prochaine fois, n’hésitez pas à me suivre sur Twitter et à partager cet article sur les réseaux sociaux s’il vous a plu !
Recevez mes articles directement dans votre boîte mail sans intermédiaire ni publicité en vous abonnant gratuitement !
j'ai connu une époque où pour l'équivalent de 3 euros d'aujourd'hui t'avais accès de façon naturelle et non promotionnelle au comics Le comics s'infuse très facilement dans la presse il y obtient un statut particulier de ces bds que t'achètent avec Marie Claire pour faire plaisir à ton gosse Franchir une librairie BD c'est déjà un autre cheminement que la plus part des gens font pour une raison très précise (noël, anniversaire) Pour ce qui est de la spéculation le gratuit le promotionnel disponible sur un court moment acquiert énormément de valeur au fil du temps Un poster lug gratuit, une affiche de cinéma un plv bien précis...
J'ai partagé ton article sur des groupes Facebook consacrés aux comics comme buzzukis assemble, pour les fans de comics, Thanos Was Right ou ma page personnelle.