Publiée en cinq numéros par Dark Horse Comics aux États-Unis, la série Dawnrunner, écrite par Ram V et dessinée par Evan Cagle, arrive en version française chez HiComics, sous son label HiGraphics. Une lecture dont je ressors avec un embarras presque aussi colossal que les kaijūs qui arpentent ses pages.
Il y a près d’un siècle, de gigantesques monstres, les Tetzas, ont surgi d’un mystérieux portail au-dessus de l’Amérique Centrale. Le monde tel que l'être humain le concevait a été définitivement bouleversé ; et des robots géants, les Iron Kings, furent créés pour faire face à cette nouvelle menace. Leurs combats contre les Tetzas sont devenus un divertissement de masse, organisés par des fédérations ayant supplanté les États.
Anita Marr, la meilleure des pilotes d'Iron Kings, va avoir l’opportunité de tester un tout nouveau prototype qui promet de révolutionner l’interface homme-machine : le Dawnrunner. Ça, c’est le pitch.
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Impossible de parler de cet album sans mettre en avant son principal point fort : la partie graphique. Evan Cagle propose des planches détaillées au découpage ciselé, la narration est fluide, et le grand format choisi par HiComics fait incontestablement honneur au travail de l’artiste. Ses personnages expressifs, couplés au dynamisme quasi-organique de ses scènes d'action, donnent un aspect très vivant à l’ensemble. Chaque élément, des décors aux tenues portées par les personnages, est réfléchi avec minutie et mis en valeur par les couleurs de Dave Stewart et Francesco Segala.
On pourra cependant reprocher le design passe-partout des mechas et des kaijūs, un peu trop générique à mon goût, plus proche d’un amalgame de références précédemment croisées dans la culture manga et anime que d’une tentative d’innover et de marquer les esprits, ce dont Cagle aurait sans aucun doute été capable. Il est, quoi qu’il en soit, un dessinateur à suivre de très près dans les années à venir, et Dawnrunner risque de marquer un tournant vis-à-vis de sa réputation auprès du grand public.



Côté scénario, on peut être sûr d’une chose : Ram V a vu Pacific Rim. Le portail, les monstres géants, les robots pour les combattre, la compétition entre les pilotes ; on a déjà rencontré ces éléments dans le très chouette film de Guillermo Del Toro, sorti en 2013.
Prenez Neon Genesis Evangelion, ajoutez-y la géopolitique de Mobile Suit Gundam, saupoudrez d’un peu de transhumanisme à la Altered Carbon et d’un zeste de philofiction à la Philip K. Dick, et voici Dawnrunner. Des influences de grande qualité, dont je suis le premier client, pour un résultat objectivement digne d’un blockbuster en puissance. Mais il y a un “mais”.
Le problème, c’est que Dawnrunner n’est ni un pur hommage à ses pairs, ni un véritable apport à la thématique.
Là où Ram V nous avait jusqu'à présent habitués à utiliser ses influences pour faire avancer des formules défraîchies ; que ce soit avec l’hypnotique Blue in Green, aux relents de Angel Heart ; sa nouvelle version de Swamp Thing, digne continuité de celle d’Alan Moore, ou le récent L’Étrange Créature du Lac Noir vit toujours !, polar teinté de body horror à la sauce Universal Monsters ; il suit ici un schéma narratif beaucoup moins original, où la prise de risque est bien plus timide.


La science-fiction est un genre qui doit nous questionner. Nous questionner sur notre rapport à la technologie, à nous-même, mais aussi aux autres, à ce qui est différent et à ce qui vient d’ailleurs. De la même façon, les histoires de mechas traitent avant tout des humains qui se cachent à l’intérieur, et surtout de ce qui se cache à l’intérieur des humains qui se cachent à l’intérieur des mechas.
En abordant la parentalité, le sens du sacrifice, comment l’évolution du corps peut être liée à celle de l’esprit, la difficulté à communiquer avec une race venue d'ailleurs, la célébration de la violence par la starification de néo-gladiateurs, et le poids d’une industrie du divertissement ouvertement capitaliste dans la gestion des crises militaires et politiques, Ram V ne déroge pas à cette règle. Mais le résultat garde un arrière-goût de déjà-vu et est trop calibré comme une superproduction, peinant à apporter quoi que ce soit de novateur au genre. À bien des égards, la série animée dérivée du film de Del Toro, Pacific Rim : The Black, sur Netflix, aborde le mecha post-apocalyptique de manière plus captivante.
La bande dessinée est le medium de tous les possibles. Les contraintes créatives imposées par le Neuvième Art ne sont en rien comparables à celles du cinéma, de la télévision, ou du jeu vidéo, et c’est ce qui fait sa force.
L’apparence des personnages, des véhicules, des lieux, les transformations de ceux-ci, tout cela ne connaît, en théorie, aucune limite sur le papier. Malheureusement, Dawnrunner me laisse une impression vraiment tiède sur ce point, comme si Ram V et Evan Cagle suivaient un cahier des charges avec une application très scolaire, s’efforçant d’enchaîner les clichés inhérents aux récits à base d’invasion de kaijūs, ne proposant rien qui n’ait déjà été auparavant exploré dans d’autres œuvres. Ce duo pouvait faire mieux, se réapproprier la recette et triturer les codes pour offrir quelque chose d’inédit, et c’est un rendez-vous manqué.


Pour être tout à fait clair : Dawnrunner est un bon titre et je suis conscient que mon avis est un peu ingrat, mais c’est principalement parce que j’en attendais beaucoup.
L'ouvrage parvient donc à la fois à se placer dans le haut du panier de mes dernières lectures en date, de par ses thématiques riches et ses dessins époustouflants ; et à provoquer chez moi une petite déception, en se révélant finalement un peu trop lisse pour marquer durablement les esprits.
Écrire sur un livre qui m’a déçu alors qu’il avait tout pour me plaire est un exercice que je trouve super intéressant. Dire qu’un bouquin est génial, que c’est un chef-d'œuvre, c’est facile, et ça ne nécessite que rarement une justification très approfondie. À l’inverse, chier copieusement sur un comic book qu’on n’a pas aimé, c’est assez peu constructif, tant pour soi-même que pour les autres. Mais argumenter autour de ma désillusion tout en reconnaissant les multiples qualités de Dawnrunner me paraissait assez révélateur des travers actuels liés à notre surconsommation de Pop Culture et au recyclage jusqu’à saturation de certains grands thèmes de celle-ci.
Si ce titre était sorti il y a dix ans, j’aurais crié au génie ; aujourd’hui, il lui manque un petit truc pour me convaincre totalement.
Heureusement, tous les lecteurs et toutes les lectrices ne sont pas aussi blasés que moi et Dawnrunner fera un superbe cadeau de Noël à déposer au pied du sapin pour les fans de science-fiction, de robots géants et de sagas à tendances cyberpunk. Car l’album, en tant qu’objet, mérite sa place dans la bibliothèque des amateurs et des amatrices de belles bandes dessinées.
Dawnrunner est disponible en deux versions chez HiComics :
D’autres titres de Ram V qui méritent votre attention :
Swamp Thing Infinite - Ram V et Mike Perkins - DC Comics / Urban Comics
Aquaman Andromeda - Ram V et Christian Ward - DC Comics / Urban Comics
L’Étrange Créature du Lac Noir vit toujours ! - Ram V, Dan Watters et Matthew Roberts - Urban Comics
Toutes les morts de Laila Starr - Ram V et Filipe Andrade - Urban Comics
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Effectivement, j'en attendais rien donc je ne suis pas déçu mais, pas ouf :X.
Toutes les influences visuels sont pour moi manifestes et font plaisir. Je n'ai pas trouvé les designs mieux ou moins bien que ce qui se fait. Par contre, malgré la beauté indéniable des planches, j'ai trouvé que l'action aurait pu y être parfois plus clair.
C'est plus le déroulé des événements et certains choix narratif qui m'ont laissé sur ma faim.
J'attendais pas mal ce titre mais je dois bien avouer qu'à chaque grosse hype de Sullivan chez HiComics je commence à pas mal me méfier parce qu'il a tendance à vite survendre certains titres
Mais rien que pour la partie graphique le comics m'intéresse !