Pour ouvrir les hostilités, j’ai décidé de vous parler de l’un des meilleurs trucs que j’ai pu lire dans ma vie. Ouais, rien que ça.
L’École est finie.
Il y a 3 ans, le 31 août 2011, un gigantesque vaisseau spatial a fait son apparition dans le ciel de Tokyo, causant la mort de milliers de personnes et plongeant la ville dans un chaos permanent.
Pourtant, pour Kadode et Ôran, deux jeunes filles terminant leur scolarité au lycée, la vie continue, comme pour bon nombre de Tokyoïtes désormais habitués à cette menace.
Tandis que le gouvernement japonais entre dans une course à l’armement, plus pour démontrer sa supériorité aux autres puissances militaires de la planète que pour faire face à un envahisseur finalement très discret, les lycéennes et leurs copines partagent leur temps libre entre histoires de coeur et dernier FPS à la mode.
Comment gérer la peur du lendemain quand on a toute la vie devant soi ? Le deuil d’une amie passe-t-il avant nos rêves d’avenir ? Peut-on encore rire, chahuter ou aimer quand le ciel menace à chaque instant de nous tomber sur la tête ?
Autant de questions auxquelles Kadode, Ôran et les autres vont devoir répondre.
Ça doit être le Stress des Exams…
Si une partie de la population sombre dans la paranoïa, à grands renforts de théories du complot qui ne font qu’envenimer les clivages sociaux entre les quartiers bouclés et les zones épargnées par le conflit, pour les autres, le sentiment d’une fin du monde imminente devient une sorte de routine, aussi lointaine qu’inéluctable.
Dans Dead Dead Demon’s DeDeDeDe Destruction, le chaos n’est pas tant créé par l’astronef que par les humains eux-mêmes.
On découvre rapidement que les créatures échappées du vaisseau sont chassées et éliminées sans ménagement, et qu’à aucun moment la véritable raison de leur présence ici n’a été identifiée.
Elles sont dès le départ considérées comme des ennemis à éradiquer, alors que leur nature belliqueuse reste encore à démontrer.
Les héroïnes, elles, sont aussi touchantes qu’attachantes, reflets de problématiques générationnelles qui existent au-delà d’un contexte.
La vision rêveuse ou idéaliste de certains personnages n’en est pas moins dénuée de sens, bien au contraire. Le contraste ainsi créé ne renvoyant parfois que plus durement à la réalité qu’elles traversent.
Une gravité qui n’empêche pas Dead Dead Demon’s DeDeDeDe Destruction d’être particulièrement drôle, comme lorsqu’un manifestant se plaint de ne plus pouvoir faire sécher son linge à cause de l’ombre du vaisseau.
Un humour décalé exacerbé par l’ambiance pesante dans laquelle évoluent les protagonistes, pour qui une rupture amoureuse ou un examen raté semble bien plus grave que la crise que traverse leur pays.
La Vie à l’Aube de l’Apocalypse.
Démarré en 2014 dans l’hebdomadaire de prépublication japonais Big Comic Spirits, et disponible en France chez Kana, Dead Dead Demon’s DeDeDeDe Destruction est un manga d'Inio Asano, auteur dont je n’avais jamais rien lu auparavant.
Le mangaka, adepte des “tranches de vie”, s’aventure ici dans la science-fiction avec un ton qui lui est propre et en privilégiant les intrigues à échelle humaine plutôt que les affrontements titanesques contre l’envahisseur.
Envahisseur qui n’en a d’ailleurs que le nom, car on s’aperçoit rapidement qu’à l’exception de quelques déplacements inexpliqués, le gigantesque astronef qui surplombe Tokyo est relativement passif.
S’ajoute à ça un message critiquant la désinformation et la façon dont beaucoup de nos contemporains se contentent de sélectionner les vérités qui les arrangent, pourvu qu’elles les confortent dans leurs certitudes.
Ne jamais se remettre en question pour mieux appartenir à un groupe ou, à l’inverse, s’exposer comme un électron libre en désaccord avec la majorité : des thématiques abordées sous plusieurs angles par Asano, qui démontre brillamment que la frontière entre ce qui est juste et ce qui ne l’est pas est toujours plus floue que ce dont on voudrait se persuader.
À mi-chemin entre District 9 et Breakfast Club, le tout découpé avec la frénésie d’un Edgar Wright, Asano met en scène les petits dilemmes du quotidien dans la grande Histoire.
Une mise en abîme renforcée par des tas de petits détails, de la présence d’un manga dans le manga, à la dichotomie graphique entre des personnages cartoonesques aux comportement aussi perchés que délicieux, comme Ôran, et leur environnement de béton froid et réaliste.
Faisant écho à l’accident nucléaire de Fukushima ayant eu lieu en 2011, et trouvant une étrange résonnance en ces temps de COVID où il nous faut adapter notre quotidien à une situation inédite, Dead Dead Demon’s DeDeDeDe Destruction est une petite pépite bien trop confidentielle à mon goût.
J’ai trouvé dans ce manga quelque chose qui manque pour moi aux comics qui constituent mes principales lectures : cette vision de gens simples, évoluant dans quelque chose qui les dépasse. Ni des êtres élus surpuissants, ni des dieux immortels, juste des ados qui continuent d’avoir une vie normale alors que l’impossible plane au-dessus de leurs têtes.
Parce que finalement, leur impuissance face à la situation et la force avec laquelle ils se raccrochent aux petits riens de tous les jours nous renvoient incontestablement à notre propre humanité, et aux contradictions qui la composent.
Un vrai coup de coeur qui, je l’espère, sera contagieux.
Jusqu’à la prochaine fois, n’oubliez pas de me suivre sur Twitter et de partager ce post sur vos réseaux sociaux ! Merci pour votre soutien !
Bonjour Chris,
Cet article me fait penser à un autre manga sur le fin du monde, dans un tout autre genre : "Devilman" de Go Nagai.
Merci pour ce bel article!