FLASH GORDON : 90 ANS DE SCIENCE-FICTION EN BANDE DESSINÉE !
Alex Raymond, Guy L’Éclair et Queen…
Du Journal de Mickey aux écrans de télévision, en passant par les salles de cinéma, et bien évidemment les comic books, voilà près d’un siècle que Flash Gordon, ou Guy L’Éclair pour les petits Français, fait frémir les amateurs et les amatrices d’action musclée et de science-fiction. Le lancement d’une toute nouvelle collection chez Hachette est pour moi l’occasion de revenir sur ce héros incontournable de la bande dessinée américaine !
Évolution naturelle du dessin de presse humoristique, le comic strip apparaît dès la fin du XIXe siècle dans les journaux américains.
Pour répondre à la demande grandissante du public, les périodiques rivalisent d’inventivité, cherchant à être toujours plus originaux pour remporter la bataille des chiffres de vente. Proposer des pages illustrées faisait partie de leurs techniques de diversification. Hogan’s Alley de Richard Felton Outcault est souvent considéré comme la première bande dessinée, notamment car son personnage du Yellow Kid est le premier à s'exprimer à travers des phylactères.
À la même période, Rudolph Dirks crée The Katzenjammer Kids, ou Pim Pam Poum en version française, dans American Humorist, un supplément du New York Journal. Dirks est le premier a réellement conceptualiser le comic strip, racontant son histoire dans plusieurs cases et utilisant les bulles pour faire parler ses héros. Son travail sera ensuite repris par Harold Knerr de 1914 à 1949, une longévité qui confirme l’importance de cette série dans l’histoire du Neuvième Art.
À partir de 1905, avec Little Nemo in Slumberland, Winsor McCay propose des planches complètes et s’éloigne des gags isolés pour construire un univers évolutif. Son travail, reconnu tardivement, est aujourd’hui considéré comme l’un des plus importants pour la construction de la bande dessinée telle que nous la connaissons.






En 1914 est fondée la King Features Syndicate, une agence de presse spécialisée dans la distribution de bande dessinée. Les strips se multiplient et sont bientôt diffusés dans tous les journaux, parfois de façon quotidienne, et complétés chaque semaine par une planche dominicale. Les auteurs gagnent en reconnaissance et la notion de cliffhanger, une fin ouverte ménageant le suspense et encourageant le lecteur à être au rendez-vous au prochain numéro, se généralise dans les comic strips d’action et d’aventure.
En 1929, Hal Foster, qui créera plus tard Prince Vaillant, adapte en comic strip Tarzan, d'après l’œuvre de Edgar Rice Burroughs. La série sera reprise par de grands noms tels que Burne Hogarth, Dan Barry, Gil Kane, ou encore Mike Grell. La même année, Philip Francis Nowlan et Dick Calkins lancent Buck Rogers, qui raconte le périple futuriste d’un ancien pilote de l’armée se réveillant d’un long coma au XXVe siècle. Cette série, considérée comme la première véritable bande dessinée de science-fiction, va avoir un impact considérable sur les productions culturelles de l’époque, faisant écho au succès rencontré en parallèle par les pulp’s, ces petits fascicules bon marché ayant connu leur âge d’or durant la première moitié du XXe siècle aux États-Unis.
L’accueil réservé à Buck Rogers fait des émules. Chez Central Press Association, par exemple, William Ritt et Clarence Gray créent Brick Bradford, traduit en Luc Bradefer en France, un aviateur vivant diverses aventures fantastiques et qui sera plus tard doté d’une machine à voyager dans le temps.
La Science-Fiction a le vent en poupe durant les années 1930, et les éditeurs cherchent à capitaliser sur ce courant en démultipliant les récits écrits ou dessinés ayant attrait à ce genre. Espérant pouvoir rivaliser avec les performances de Tarzan et de Buck Rogers, King Features Syndicate tente d’obtenir les droits pour adapter un autre personnage phare de Edgar Rice Burroughs : John Carter from Mars. Mais la démarche n’aboutit pas, et l’agence de presse se tourne alors vers un jeune auteur prometteur : Alex Raymond.



Jusqu’alors assistant dessinateur sur les strips Tillie the Toiler ou Tim Tyler's Luck (connu chez nous sous différents titres, parmi lesquels Richard le Téméraire, Raoul et Gaston ou La Patrouille de l'Ivoire), Alex Raymond s’inspire de ses lectures, notamment de récits tirés de pulps tels que When Worlds Collide de Philip Wylie et Edward Balmer, pour concevoir la première planche de Flash Gordon.
Après quelques demandes de corrections de la part de Joseph Connolly, son responsable chez King Features Syndicate, le strip prend son envol le 7 janvier 1934.
Partout à travers le monde, la nouvelle se répand : la Terre est condamnée. Une autre planète inconnue se dirige vers nous, et la collision semble inévitable.
Dans son laboratoire, le docteur Hans Zarkov tente de mettre au point une fusée qui permettrait de sauver la planète bleue. Au même moment, l’avion transportant le joueur de polo Flash Gordon et la belle Dale Arden est heurté par une météorite et les deux jeunes gens sautent en parachute, pour atterrir tout près de l'observatoire du scientifique. Les prenant pour des espions, Zarkov les fait monter de force dans son astronef et décolle vers le mystérieux corps céleste. Après une bagarre entre les deux hommes, le vaisseau finit par s’écraser à la surface de l’astre, qui se révèle être un monde hostile peuplé d'étranges créatures : la planète Mongo. Gouvernée d’une main de fer par le maléfique Empereur Ming, Mongo abrite différentes populations, chacune vivant dans un environnement particulier. Au fil des semaines, aidé par le scénariste Don Moore, Alex Raymond va mettre en scène les péripéties explosives de Flash Gordon, sillonnant Mongo vêtu de son plus beau slip.



D’abord uniquement publiée sous forme de planche dominicale, la série a droit, à partir de 1940, à une bande quotidienne. Raymond, très pointilleux sur le rendu final de ses dessins, ne veut pas sacrifier le temps consacré à sa page hebdomadaire, et confie donc le strip à son assistant, Austin Briggs. Il faut dire que l’auteur est déjà bien occupé. En parallèle, il a également œuvré sur deux autres strips : Jungle Jim, publié en même temps que Flash Gordon, et Secret Agent X-9.
Flash Gordon va rapidement rencontrer un succès colossal, dépassant celui déjà conséquent de son modèle Buck Rogers, et obtenant ainsi le privilège de devenir la star de plusieurs adaptations à la radio et à l’écran. Dès 1935, le show radiophonique de vingt-six épisodes The Amazing Interplanetary Adventures of Flash Gordon est diffusé chaque semaine sur les ondes, et s’avère très fidèle à la bande dessinée dont il s’inspire. Le premier serial de treize chapitres, avec Buster Crabbe dans le rôle-titre, est projeté dans les cinémas étasuniens en 1936, soit seulement deux ans après la première publication du comic strip. Il va connaître deux suites, en 1938 et 1940, et je vous recommande sincèrement d’y jeter un œil à l’occasion, car c’est une petite pépite de science-fiction rétro. On compte aussi deux séries télévisées en live-action, respectivement sorties en 1954 et 2007, ainsi que plusieurs séries animées, dont la très chouette version de 1996, qui m’a fait découvrir Flash Gordon quand j’étais gamin.
Évidemment, impossible de parler du héros de Alex Raymond sans évoquer le film de 1980, réalisé par Mike Hodges, avec Sam J. Jones, Melody Anderson, Max von Sydow, Ornella Muti et Timothy Dalton, et porté par la mythique bande originale du groupe Queen. Parfois moqué, le long-métrage est pourtant un sympathique divertissement qui cultive, un peu malgré lui, un sens du kitsch et de la science-fiction pulp, dont le charme hors du temps m’a toujours beaucoup amusé.
Le voyageur de l’espace figurera également au casting de Defenders of the Earth, dessin animé de soixante-cinq épisodes coproduit par Marvel, dans lequel il fait équipe avec Mandrake et The Phantom, deux personnages créés par Lee Falk, et eux aussi stars de comic strips. Plus incongru, je vous épargne les détails de Flesh Gordon, parodie pour adultes sortie en 1974, qui ravira les exobiophiles.
Côté comics, Flash Gordon aura droit à diverses séries chez Gold Key, Charlton, Whitman Publishing, DC Comics, Dynamite Entertainment, et plus récemment chez Mad Cave Studios. Les grandes lignes sont bien souvent les mêmes, mais le format est condensé et les thématiques actualisées pour mieux coller à l’air du temps.
Durant la Seconde Guerre mondiale, Alex Raymond use de son talent pour le dessin en tant que publicitaire et reporter au sein de l’armée des États-Unis. À son retour, il ne reprend pas Flash Gordon, confié à Austin Briggs, ni Jungle Jim, repris par son frère James Raymond, mais se consacre à une nouvelle création : les enquêtes du détective Rip Kirby. Récompensé pour son travail par un Reuben Award et président de la Cartoonist Society, Raymond est aussi passionné d’automobile.
Le 6 septembre 1956, alors qu’il essaie d’une nouvelle voiture de course en vue d’une compétition à laquelle il souhaite participer, Alex Raymond perd tragiquement la vie dans un accident. Ses créations vont lui survivre et faire rêver des millions de lecteurs, décennie après décennie.
En 2024, pour le quatre-vingt-dixième anniversaire du héros, les éditions Hachette lancent une collection dédiée aux aventures de Flash Gordon.
Avec soixante numéros annoncés, elle propose de découvrir ou de redécouvrir l’intégralité des strips publiés dans la presse entre 1934 et 2003 ! Chaque tome fait environ cent-cinquante pages, le premier numéro est proposé en offre découverte à 2,99 euros et contient les planches dominicales parues entre janvier 1934 et avril 1936 ; le prix standard de 14,99 euros pour les suivants me semble très correct compte tenu de la qualité éditoriale et la fabrication, qui m’ont agréablement surpris. De très beaux bouquins pour ce tarif.
Mais, quatre-vingt-dix ans après son premier voyage dans les étoiles, et alors que le genre n’a cessé de se réinventer, est-il encore réellement pertinent de lire les premiers comic strips de Flash Gordon ?
Outre l’influence manifeste qu’a pu avoir cette œuvre sur la Pop Culture d’aujourd’hui, de Star Wars de George Lucas à Star-Lord dans Les Gardiens de la Galaxie, lire ou relire les strips d’Alex Raymond et de ses successeurs est l’occasion de voir un medium se construire et évoluer au fil des pages. En plus de l'aspect patrimonial et historique du contenu, dans lequel on ressent la façon dont la bande dessinée se modelait encore progressivement à l'époque, Raymond façonne le comic strip et ses codes au fur et à mesure, comme lorsqu’il décidera de supprimer les bulles pour mieux mettre en avant ses dessins. Le format sériel des pages du dimanche se révèle un point fort insoupçonné, qui participe à la mise en place d’un rythme soutenu, d’une narration dynamique, et de cliffhangers systématiques, dont les effets sont souvent brillamment maîtrisés.
De par son iconographie et son symbolisme que l’on pourrait classer dans la catégorie “Rayguns & Rocketships”, Flash Gordon conserve une aura particulière, qui rime avec science-fiction vintage et aventures épiques, dont l'univers foisonnant s'enrichit chaque semaine, étoffé de nouvelles créations qui ne s'embarrassent pas de codes établis qu’il faudrait respecter. Les zones de Mongo sont comme les niveaux d’un jeu vidéo, chacune disposant d’un biotope et d’un bestiaire qui lui est propre. Royaume de la Glace, Royaume de la Jungle, Royaume Souterrain, Hommes-Lions, Hommes-Faucons, et autres créatures effrayantes s’animent au détour des cases pour prolonger le voyage quasi-onirique de Guy L’Éclair, le tout servi par le trait réaliste et expressif de Alex Raymond, dont la précision chirurgicale et l’expressivité éblouissent encore sans aucune difficulté.
Évidemment, les péripéties de notre Apollon joueur de polo n’échappent pas aux affres du temps, et ce serait une erreur de vouloir les commenter sans prendre en compte le contexte de leur publication. La place réservée aux personnages féminins ; cantonnées, au choix, à des rôles de sorcières manipulatrices ou de demoiselles en détresse ; la vision réductrice, voire raciste de ce qui est étranger aux coutumes des Occidentaux, et une morale viriliste empreinte des codes d’une chevalerie fantasmée sont autant points qui peuvent faire naître une certaine perplexité chez le lecteur ou la lectrice d’aujourd’hui, faute d’un recul suffisant.
Enfin, on pourra reprocher à ces premières histoires une candeur et une naïveté presque enfantines, ainsi que l’usage d’une longue liste de clichés désormais usés jusqu’à l’os. Mais, ce serait assurément oublier que ces planches avaient pour but de divertir et de faire rêver une vaste frange de la population, au quotidien parfois morose. À ce titre, les farouches paysages colorés et les environnements aussi exotiques que mortels de Mongo ne peuvent qu’inviter le lectorat à vibrer au gré des défis que doivent relever Flash et ses compagnons.
Dès l'annonce du lancement de cette collection Flash Gordon chez Hachette, j'ai sauté le pas pour m'abonner, tant par curiosité que par attrait pour cette figure qui a nourri directement et indirectement mon imaginaire ; et je ne peux que vous encourager à faire de même si vous aimez le Neuvième Art.
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COMICS : AUX SOURCES DE LA FICTION POPULAIRE
Dans cet épisode de POP CULTURE & COMICS, je reviens sur la façon dont la littérature pulp a influencé nos univers fictionnels préférés. De H.P. Lovecraft à Robert E. Howard, en passant par Edgar Rice Burroughs, comment Conan le Barbare, Tarzan, ou encore Zorro ont inspiré la bande dessinée américaine, jusqu’à devenir eux-mêmes des héros de comic books …
Pour revenir au début de l'article, qui cite les début de la BD, en France nous avions «les facéties du sapeur camember»:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Fac%C3%A9ties_du_sapeur_Camember
et du même auteur la famille Fenouillard
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Famille_Fenouillard
Bravo et merci pour cet article.
Et relire ces anciens épisodes, c'est vraiment assister à la naissance du style Comic. Les premières bandes, très sages, cèdent leur place à des compositions de pages dynamiques, avec des grandes cases. On voit que les auteurs expérimentent, testent les limites de leur média. C'est chouette.