Tout le monde connaît Laïka, jeune chienne devenue le premier être vivant mis en orbite autour de la Terre. Mais est-elle réellement morte quelques heures après le décollage, comme l'affirme la version officielle du régime soviétique ? La réponse est dans Primordial, un véritable coup de cœur chez Urban Comics !
I HOPE THE RUSSIANS LOVE THEIR DOGGOS TOO
1957 : Après le succès de Spoutnik 1, premier satellite artificiel placé en orbite autour de la Terre, l’URSS décide de frapper un grand coup dans la course à l’espace. Il faut dire qu’en pleine guerre froide, la puissance soviétique a tout intérêt à exposer son avantage sur le bloc de l’Ouest dans le domaine de l’aéronautique.
Pour ce faire, il faut désormais être le premier à envoyer un être vivant en orbite, quoi qu’il en coûte.
Le 3 novembre 1957, Spoutnik 2 est lancé avec à son bord Laïka, une jeune chienne errante ramassée dans les rues de Moscou et conditionnée pour le vol après une batterie de tests. Si l’on sait que Laïka a bien atteint l’orbite terrestre et survécu aux effets de l’apesanteur durant plusieurs heures, les causes exactes de sa mort sont longtemps restées énigmatiques. Stress extrême, asphyxie, et même nourriture empoisonnée ont été évoqués, sans qu’aucune certitude ne puisse jamais être établie, la dépouille de Laïka ayant disparue, pulvérisée avec Spoutnik 2 lors de son entrée dans l’atmosphère en 1958.
Jeff Lemire utilise cet événement historique et le flou qui l’entoure comme base à Primordial, une fresque de science-fiction dessinée par Andrea Sorrentino, publiée en six numéros par Image Comics aux États-Unis, et disponible en France chez Urban Comics.
Qu’est-ce qui pourrait pousser le gouvernement américain à abandonner la course à l’espace et l’idée d’envoyer des êtres vivants en orbite ?
C’est la question que se pose le docteur Donald Pembrooke lorsqu’on lui demande d’aller faire le ménage à Cap Canaveral après la mise à l’arrêt définitif du programme spatial. Les morts successives de Laïka, puis d’Able et Baker, deux singes utilisés comme cobayes par les États-Unis, auraient-elles suffi à décourager à la fois les Soviétiques et les Américains ?
Dans sa quête de vérité, Pembrooke va croiser la route de Yelena Nostrovic, l’une des membres de l’équipe ayant sélectionné Laïka, et découvrir que, plus que jamais, la vérité est ailleurs.
Où sont passés Laïka, Able et Baker ? Se pourrait-il qu’une menace venue des profondeurs de l’espace soit à l’origine de leur disparition ? Donald et Yelena embarquent le lecteur dans un voyage qui s’étale sur plusieurs époques et plusieurs plans, et dont la destination dépasse largement notre perception du réel.
WE ARE ALL MADE OF STARS
Pratiquement impossible d'être déçu par le duo formé par Jeff Lemire et Andrea Sorrentino, qui propose ici des pages au découpage d'une efficacité remarquable.
Les compositions de Sorrentino confèrent à Primordial un petit côté 2001, L'Odyssée de l'Espace qui provoque vertige et interrogation. L’artiste jongle entre deux styles diamétralement opposés pour marquer distinctement la séparation entre les trames narratives et gagne son pari en excellant sur tous les tableaux.
La galerie de couvertures envoie du lourd avec des artistes comme Mike Allred, Emi Lenox, Dustin Nguyen et surtout la fabuleuse Yuko Shimizu. Un pur bonheur pour les yeux et un bonus toujours appréciable dans un album auquel le grand format URBAN fait honneur.
Tout en misant sur les thématiques classiques de la guerre froide, entre conspirations, escalade militariste et propagande, Primordial traite en sous-texte de la question de l'expérimentation animale.
Aujourd’hui, l’utilisation d’animaux comme cobayes dans l’industrie cosmétique ou des technologies de pointe semble unanimement condamnée, mais déjà à son époque, le voyage sans retour de Laïka avait provoqué une forte émotion. Si certains scientifiques ayant participé au projet reconnaissent eux-mêmes que ce sacrifice était une erreur n’ayant apporté que peu d’informations utiles au final, Lemire parvient, grâce à son écriture si empathique, à nous faire ressentir la solitude qu’ont dû éprouver ces animaux envoyés vers le vide sidéral au nom de la science.
À travers le lien qui unit Yelena à Laïka bien au-delà de la distance qui les sépare, Jeff Lemire et Andrea Sorrentino nous parlent aussi d’attachement et de persévérance. Comme si le fait de savoir que quelqu’un vous attend quelque part vous permettait de surmonter la plus grande des épreuves.
La relation entre la chienne russe et les deux singes américains, embarqués dans un même périple au cœur de l’inconnu, est au centre de la narration et exprime sans pratiquement aucun dialogue la fraternité qui a pu naître entre ces animaux, bien plus solidaires les uns envers les autres que nous ne pourrons jamais l’être. Un message qui vous semblera peut-être simpliste, mais pourtant primordial.
Uchronie profondément touchante, et paradoxalement très humaine, dans la lignée de Nou3, Primordial nous rappelle aussi que pour avancer l'être humain doit prendre conscience qu'il n'est pas au centre de tout.
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Super article. J'adore se que fait en général Lemire et encore plus avec Sorentino. Donc forcément je suis convaincu. Je trouve qu'on peut vraiment comparer de bout en bout cette bd à 2001, tant dans les temes que dans la manière de le dire mais surtout sur l'interprétation de la fin. Je l'ai lue 2 fois et y ai vue 2 fin. J'ai hâte de le lire une 3... Merci pour les articles et celui-ci en particulier. Cela fait du bien d'avoir du réel contenus sur le Comics autre que "c'est bien".
J'ai failli verser ma petite larme en cours de lecture, parce que la cause animal, l'exploration spatial et l'empathie me parle énormément, merci beaucoup pour cette recommandation que je ne vais pas loupé.