QUAND SUPERMAN RENCONTRE LA MASCOTTE DE NESQUIK
Ou l'un des crossovers les plus improbables de l'histoire des comics...
J’ai déjà eu l’occasion d’en parler à de multiples reprises : l’histoire de la bande dessinée américaine grouille d’exemples plus ou moins heureux de partenariats entres les éditeurs, Marvel et DC Comics en tête, et diverses marques de produits alimentaires ou de divertissement n’ayant souvent pas grand-chose à voir avec le monde des comic books.
Parmi les productions les plus farfelues nées de ces opérations à visée mercantile, j’ai décidé de revenir sur l’une des plus bizarres : la rencontre inattendue entre Superman et Quicky, la mascotte de Nesquik…
Pour commencer, il est bon de rappeler que Superman est incontestablement l’un des personnages de comics les plus populaires de tous les temps. À ce titre, sa présence est souvent synonyme de ventes conséquentes, ce qui a poussé DC Comics à l’impliquer dans tout et n’importe quoi au fil des années. S’il encourage les lecteurs à contribuer à l’effort de guerre durant la Seconde Guerre mondiale, et s’oppose au harcèlement scolaire dès 1949, Superman est de tous les combats, également de ceux où on ne l’attend pas forcément. En 1980, il a même participé à une campagne de prévention contre la cigarette, dans laquelle il affronte un super-vilain créé pour l’occasion : Nick O’Teen.
Évidemment, en tant que figure de proue de DC Comics, il est aussi le super-héros de l’éditeur le plus souvent impliqué dans des crossovers.
Un crossover, c'est la rencontre entre deux protagonistes ou plus, pouvant être issus d'univers ou de maisons d'édition différentes, et qui peut prendre place en dehors de la continuité classique. De par sa nature singulière et détachée de toute forme de cohérence dans la durée, les deux principaux objectifs du crossover se résument bien souvent au divertissement et à produire un coup d’éclat éditorial à la rentabilité maximale.
En 1976, Superman est l’un des deux héros du tout premier crossover mettant à la fois en scène des personnages de Marvel et de DC Comics, en rencontrant son homologue Spider-Man, dans une aventure signée Gerry Conway, Ross Andru, Neal Adams, John Romita Sr., et Dick Giordano.
En 1978, il affronte Mohammed Ali, alors l'une des plus grandes stars de la planète, dans un combat de boxe légendaire, et pour un résultat finalement plutôt convenable. Il participe ensuite à la promotion du premier comic book dérivé de la licence des Maîtres de l'Univers chez DC Comics en affrontant He-Man, alias Musclor, en 1982.
En 1996, il compte parmi les personnages impliqués dans l’événement Amalgam Comics, durant lequel les super-héros et super-héroïnes de la Maison des Idées et de la Distinguée Concurrence s’affrontent !
Au cours de sa longue carrière sur le papier, il va également croiser la route des Cosmocats, de Bugs Bunny, des Power Rangers avec la Justice League, des super-ados de Gen13, mais aussi des xénomorphes d’Alien, des Yautja de Predator, ou encore l’emblématique T-800 de Terminator ! La liste est encore longue, mais la palme de la rencontre la plus saugrenue faite par l’alter ego de Clark Kent revient sans aucun doute à celle avec Quicky, le fameux lapin, mascotte de la poudre chocolatée Nesquik.
Officiellement adopté comme faire-valoir de la marque aux États-Unis en 1973, Quicky supplantera Groquik, mascotte utilisée en France et en Grèce, en 1990.
Représentation typique du petit personnage malicieux et rigolo vantant les mérites des produits alimentaires visant les plus jeunes, Quicky a lui-même été à l'origine de nombreux produits dérivés ; figurines, peluches, ou bandes dessinées ; comme quand, en 1984, il était la vedette d’un comic book promotionnel distribué par Nestlé et Marvel, dans lequel il croisait la route de Spider-Man : The Adventures of Quik Bunny.
Mais cette BD était incontestablement moins ambitieuse que Superman meets the Quik Bunny, un autre fascicule promotionnel réalisé en partenariat avec DC Comics, en 1987.
Pour rappel, nous ne sommes que quelques mois après la publication de Man of Steel par John Byrne, un véritable renouveau éditorial pour l’Homme d’Acier, qui a offert au héros de Jerry Siegel et Joe Shuster le lifting dont il avait besoin pour rester à la page. De plus, Superman meets the Quik Bunny s’offre le luxe d’être réalisé par une équipe créative “all-star” : Mike Carlin, Carmine Infantino et Dick Giordano, de véritables légendes du comic book. De quoi être enthousiaste !
Notre histoire commence alors que Metropolis est victime d’un étrange et terrible dérèglement climatique. Superman vole au secours de la population et découvre que le fifrelin à l’origine du désordre n’est autre que le Weather Wizard, un super-vilain capable de contrôler la météo, habituellement adversaire de Flash.
Pendant ce temps, notre cher Quicky, toujours partant pour pousser les gamins à adopter un régime saturé en sucre, est occupé à fabriquer une sorte de cabane pyramidale en compagnie de Miguel, Maureen, Patty et Ronnie, quatre pré-ados représentatifs de la jeunesse étasunienne. Le petit groupe, spectateur du chaos généré par le Weather Wizard à la télévision, décide qu’il faut mettre les compétences de chacun de ses membres à profit pour venir en aide aux habitants de Metropolis, sans manquer de faire une petite leçon de morale au lecteur au passage !
Une chance pour nos aventuriers en herbe (et en cacao maigre), leur cabane, le Quick Club, possède l’étonnante faculté de se transformer à volonté en différents véhicules. En un clin d’œil, elle se change en hélicoptère et prend la route de Metropolis.
Pendant ce temps, Superman, mis en difficulté par le super-vilain, se retrouve pris au piège d’un bloc de glace ! Heureusement pour lui, Quicky et ses amis arrivent à temps pour le libérer, et provoquent ainsi la fuite du Weather Wizard.
Pour mieux poursuivre le criminel, la cabane se transforme en fusée, puis en ballon dirigeable, chaque séquence étant entrecoupée de jeux ayant pour but de faire avancer l’histoire.
Bien décidé à foutre le boxon partout où il passe, le Weather Wizard tente alors de ravager Washington avec une tornade, avec pour seuls opposants Superman, un lapin qui parle, et des enfants de 8 ans devant résoudre des labyrinthes et des messages codés foireux… Cette nouvelle série d’énigmes mène nos amis jusqu’en Égypte, à bord de leur cabane transformée en avion, où ils constatent médusés que le pays est désormais couvert de neige ! Superman se bat avec une momie, détériore le patrimoine national sous l’influence des gamins qui sont persuadés que le Weather Wizard est caché à l’intérieur d’une pyramide, mais le méchant s’échappe une nouvelle fois. Afin de le rattraper, le Quick Club se change en bateau pour rejoindre la Chine, ce qui semble une idée très discutable, étant donné que d’après les estimations que j’ai pu trouver sur le net, le trajet en bateau entre l’Égypte et la Chine prendrait environ une vingtaine de jours. Pas le plus rapide, quand même.
Alors que tout semble perdu, Quicky s’enfile un grand verre de Nesquik et, grâce aux propriétés stimulantes du breuvage, trouve soudain une idée de génie pour se débarrasser du Weather Wizard : confier à ses jeunes amis la mission de construire une statue en métal à son effigie, qui servira d’appât. Tombant la tête la première dans le guet-apens, le super-vilain tente de foudroyer cette réplique, pensant avoir affaire au véritable Quicky. Mais, victime de sa propre attaque, il est mis hors d’état de nuire. Tout ça se termine autour d’un bon verre de Nesquik, Superman remerciant Quicky et les enfants de l’avoir aidé, sans quoi il n’y serait jamais arrivé !
Malgré mes recherches, je n’ai pas réussi à trouver d’informations précises concernant cette collaboration entre Nestlé et DC Comics. Impossible de savoir qui est à l’initiative de ce comic book promotionnel, ni de connaître les tenants et les aboutissants de sa distribution.
Car l’intérêt pour DC Comics de mêler Superman à cette opération est plus que douteux, d’autant plus que l’Ange de Metropolis est absolument inutile du début à la fin dans cette histoire. Lui qui est censé être l’un des super-héros les plus puissants du monde s’en remet à un groupe de gamins pour affronter un vilain de troisième zone, ce qui est tout de même assez humiliant !
D’ailleurs, avec le recul, ce groupe de mioches soulève de nombreuses interrogations : ils n’ont visiblement pas de parents, vivent dieu sait où, dans une cabane qu’ils construisent eux-mêmes, et répondent aux ordres d’un lapin anthropomorphe accro au chocolat en poudre qui leur demande de fabriquer une idole à son effigie. De quoi rester plus que dubitatif.
Au-delà de son aspect commercial évident, renforcé par la présence superflue et sous-exploitée de Superman, ce comic book n’est pas si mauvais. Par certains aspects, il fait écho aux comics du Silver Age, simplistes en apparence, qui visaient un jeune public, et y ajoute une morale dans laquelle on pourrait presque voir un message à tendance écologiste. Superman meets the Quik Bunny est aussi candide qu’inoffensif, sauf peut-être pour l’équilibre alimentaire de nos chères têtes blondes, et on s’en souvient surtout pour sa loufoquerie déconcertante. Une singularité comme sait en produire la bande dessinée américaine, pour notre plus grand plaisir.
N’hésitez pas à partager cet article sur les réseaux sociaux s’il vous a plu !
Recevez mes articles, podcasts et vidéos directement dans votre boîte mail, sans intermédiaire ni publicité, en vous abonnant gratuitement !
Ma foi. Ce doit être un comics collector j'imagine...
Merci pour cette découverte Chris ! Finalement, on peut clairement faire des crossover avec tout ce qui nous passe sous la main, en fin de compte. ^^
Ils ont dû sniffer la poudre chocolatée plutôt que la dissoudre dans du lait :-)
Vraiment improbable comme rencontre, merci pour le papier bien rigolo!