En voilà une bonne question ! Est-il pertinent de se lancer aujourd’hui dans la lecture, ou la relecture, d’une série emblématique de son époque, avec tous les risques de déception que cela comporte ? Le retour des WildC.A.T.s chez Urban Comics est l’occasion d’y répondre !
LA GROSSE RACLÉE !
Monument de l’éphémère Extreme Age de la bande dessinée américaine, la série WildC.A.T.s débarque dans les comic shops durant l’été 1992 et devient le deuxième plus gros succès de l’année derrière Superman #75, où le combat final entre l’Homme d’Acier et Doomsday se conclut par la mort de Superman.
Une entrée en matière des plus symboliques pour la création de Jim Lee et Brandon Choi, qui participe au virage pratiquement sans précédent que connaît le marché des comic books à l’époque.
À l'orée de la décennie 1990, les comics du Golden Age s’arrachent désormais à prix d’or et une vague de relance au numéro 1 ; destinés à devenir des objets de collection grâce à leurs couvertures, tantôt en relief, tantôt métallisées ; s’effectue chez plusieurs éditeurs, Marvel Comics en tête.
C’est au paroxysme de la bulle spéculative entretenue par ce contexte que plusieurs jeunes talents, s’estimant spoliés par les Big Two, décident de tout quitter pour fonder leur propre maison d’édition : Image Comics. J’ai déjà raconté cette histoire dans mon article consacré à CyberForce de Marc Silvestri, une autre série Image intimement liée à WildC.A.T.s et à l’univers WildStorm, auquel ses personnages appartiennent.
Avec WildC.A.T.s, Jim Lee profite de la réputation qu’il s’est forgée sur la série X-Men tout en se libérant des règles imposées par Marvel. La mode est aux anti-héros bad-ass et les tendances introspectives des premières productions du Dark Age, comme Watchmen ou The Dark Knight Returns, sont mises de côté pour se concentrer sur ce qu’attendent tous les gamins qui lisent des comics : des chaînes et de la bagarre ! Fini les attitudes de boy-scout, place à des personnages sombres et violents, prêts à tuer leurs adversaires sans le moindre remord. Les standards du genre super-héroïques ont définitivement changé et les WildC.A.T.s, sorte de X-Men durs à cuire, deviennent le nouveau mètre étalon de la série d’équipe.
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Les membres des WildC.A.T.s sont les héritiers des Kherubim, un peuple très avancé technologiquement, pratiquement immortel, originaire de la planète Khera et dont le but est d'améliorer les formes de vies, notamment sur Terre. Sous le commandement de Lord Emp, Spartan, Void, Grifter, Zealot, Voodoo, Maul et Warblade, s'opposent aux Daemonites, une race extraterrestre capable de prendre possession du corps des êtres vivants et de contrôler leur esprit pour infiltrer la population et ainsi assouvir sa soif de conquête.
Considéré comme le leader de l’équipe, Spartan est en fait une machine, un cyborg hypersophistiqué conçu d'après la technologie Kherubim. Bien que synthétique, il se comporte comme un humain et peut même éprouver des sentiments. Cela sera expliqué un peu plus tard, lorsque le lecteur apprendra que son esprit est en fait celui du vétéran John Colt, un seigneur de guerre de Khera, ayant servi au sein d'un groupe d'action paramilitaire appelé Team One. Extrêmement résistant, il n'est pas pour autant invulnérable, mais en cas de dommages irréversibles, sont esprit peut être transféré dans un autre corps.
Cole Cash, alias Grifter, a connu une jeunesse difficile avant de rejoindre le programme d'entraînement intensif de l'armée qui a fait de lui une véritable machine de guerre. Exposé à un agent chimique appelé Gen Factor alors qu'il était membre de l'unité Team 7, il s'est vu octroyé des capacités bien supérieures au commun des mortels, et son vieillissement s'en est trouvé significativement ralenti.
Mercenaire dans l'âme, Grifter a parfois été dépassé par les phénomènes incroyables auxquels il a assisté, et même par ses propres pouvoirs. Expert en maniement des armes et en arts martiaux, il préfère souvent foncer dans le tas, laissant la diplomatie à d'autres.
Indissociable binôme de Grifter, Zealot est une Kherubim, membre fondatrice de la Coda, un ordre de guerrière respectant des principes stricts, auxquels elle-même finira par se soustraire. Spécialiste des armes blanches, elle enseigna l'art du combat de la Coda à Grifter, avec qui elle fit régulièrement équipe avant de rejoindre les WildC.A.T.s. Ayant, tout comme Spartan, fait partie de la Team One, elle serait en fait âgée de plus de mille ans. Une longue vie qui lui donna plusieurs enfants qui joueront tous un rôle dans l'univers WildStorm.
Prix Nobel et spécialiste en biochimie, le Docteur Jeremy Stone, alias Maul, est un sang-mêlé Kherubim pouvant modifier à loisir sa taille et sa masse, en se transformant en une créature titanesque. Cependant, son intellect varie proportionnellement à sa taille : plus il devient grand, plus ses capacités cognitives sont limitées. Il doit donc constamment gérer ce paramètre pour ne pas perdre le contrôle. Profondément humain, Maul est certainement le membre de l'équipe faisant le plus souvent preuve d'empathie.
Sauvée par les WildC.A.T.s avant de finalement les rejoindre, Voodoo possède à la fois du sang kherubim et du sang daemonite, ce qui lui confère la capacité de démasquer les humains possédés par ces derniers, et même de les libérer. Soutien indispensable dans la lutte menée par nos héros pour sauver le monde, elle sera au centre du conflit entre Kherubim et Daemonite, éveillant à la fois la crainte et la méfiance de chaque camp.
Membre le plus sauvage et insondable de l'équipe, Warblade, alias Reno Bryce, est un hybride Kherubim pouvant transformer son corps en une sorte de métal organique. Utilisant principalement cette technique pour faire de ses doigts des griffes acérés, il vit cependant assez mal son statut de super-héros, préférant mener une vie d'artiste.
Seule survivante de la destruction de la station MIR, la cosmonaute russe Adrianna Tereshkova entre en contact avec une étrange puissance perdue dans l'espace-temps sous la forme d'un orbe et devient Void. Douée de prescience et capable de se téléporter, elle est en fait l'hôte d'un pouvoir qui va peu à peu la couper de son humanité. Énigmatique et influencée par des forces qu'elle-même ne comprend pas, Void devient une sorte de guide messianique pour les WildC.A.T.s, ayant vu en Jacob Marlowe le sauveur de l'humanité.
Jacob Marlowe, justement, alias Lord Emp, est un homme richissime, multimillionnaire, mais également un seigneur Kherubim. Aidé par les pouvoirs de Void, il va s'efforcer de continuer la guerre que son peuple a déclarée aux Daemonites.
Plus tard dans la série, on voit apparaître Mr Majestic ; seigneur de guerre Kherubim, sorte de Superman à la sauce WildStorm, mais bien moins pacifiste et modéré que son modèle, car porté par des convictions bellicistes et politiques ; ou encore Savant, alias Kenesha, une Kherubim qui possède d'étroits liens familiaux avec Zealot et qui concentre son travail sur l'intellect plutôt que sur la force brute.
CHAT-CHAT-CHAT
WildC.A.T.s, c’est avant tout une identité visuelle très forte.
Ceintures recouvertes de poches, flingues démesurés, cheveux qui dépassent des masques, et personnages féminins hypersexualisés au point de défier toutes les lois de la physique : pas de doute, vous êtes bien en 1992.
Ces stéréotypes, entretenus par pratiquement tous les artistes de Image Comics à cette période, Rob Liefeld ou Todd McFarlane en tête, sont des marqueurs temporels largement tournés en dérision aujourd’hui, mais qui ont influencé toute la production, y compris chez Marvel et DC Comics. Le style graphique de Jim Lee sur les treize premiers numéros de WildC.A.T.s est si percutant qu’il en est devenu à la fois l’incarnation de tout un courant artistique extrêmement limité dans la durée et un modèle de référence intemporel aux multiples retombées. Son successeur désigné, Travis Charest, reste également pour moi l’un des meilleurs artistes de sa génération, dont le travail est encore très efficace de nos jours.
L’intelligence de Jim Lee avec WildC.A.T.s, ce sera de lier sa série à de grands noms de l’industrie des comics.
En faisant intervenir Chris Claremont, avec qui il a déjà travaillé sur les X-Men, puis James Robinson ou Grant Morrison pour mettre en scène ses créations, il s’éloigne du cliché qui colle aux baskets des comic books Image de l’époque, selon lequel leur succès tient au travail de dessinateurs stars tandis que leurs scénarios tiennent sur un post-it.
Le passage du scénariste Alan Moore sur la série, entre les numéros 21 et 34, reste aussi marquant qu’inattendu. Ce dernier va creuser le passé des belligérants, mais aussi montrer les conséquences de ce conflit, en tirant évidemment une image bien moins lisse qu'une simple guerre entre le bien et le mal dans laquelle s'affrontent des gentils et des méchants.
Cet épisode de la carrière de Moore est aussi un authentique paradoxe des années 1990 : lui qui s’est efforcé de redéfinir de nombreuses figures des comics au cours de sa carrière, de Superman à Swamp Thing, en passant bien évidemment par les héros de Charlton qui inspireront ceux de Watchmen, le voilà à tenter de donner un peu de corps à des personnages beaucoup plus modernes, et largement influencés par ses travaux lors de la décennie précédente. Une façon de boucler la boucle, même si ce n’est pas forcément la partie la plus remarquable de son curriculum vitae.
Au fil du temps, de nombreuses mini-séries vont venir enrichir l'univers des WildC.A.T.s et du label WildStorm, notamment en se concentrant sur certains héros appréciés du public comme Grifter ou Zealot, mais aussi avec des séries consacrées à d’autres équipes de cet univers partagé, comme Team 7.
Comme beaucoup de héros ayant fait les beaux jours de Image Comics dans les années 90, les WildC.A.T.s ont participé à plusieurs crossovers, dont la nouvelle édition de Urban Comics nous donne quelques aperçus. Mais, outre la rencontre avec les héros de CyberForce, présente au sommaire du premier tome, il est regrettable que l’excellent crossover en quatre numéros entre les WildC.A.T.s et les X-Men, paru en 1997, ne soit pas publié en intégralité dans l’un des volumes, tant il compte parmi les meilleurs exercices du genre. Se déroulant en parallèle à différentes époques, il revisite l'histoire en imaginant plusieurs rencontres entre les héros des deux équipes et fait intervenir différents artistes, dont Jim Lee et Adam Hugues, pour un résultat complètement dingue visuellement ! Une véritable pépite que j’aurais aimé redécouvrir dans cette réédition.
Autre bonus agréable, le premier numéro de WildC.A.T.s Adventures, le comic book tiré de la série animée adaptée de l’œuvre de Jim Lee et Brandon Choi, dont les treize épisodes, diffusés en France sur Canal+ en 1996, sont actuellement disponibles gratuitement et légalement en version originale sur Youtube.
Enfin, plusieurs histoires tirées du cinquantième et dernier numéro de la première mouture de WildC.A.T.s permettent de mieux saisir l’ambiance qui régnait à l’aube du nouveau millénaire, après l'explosion de cette fameuse bulle spéculative et un effondrement du marché qui aura bien failli avoir la peau de Marvel Comics.
Paru en 1998, WildC.A.T.s #50 est le dernier publié par Image Comics, avant l'acquisition de WildStorm et de ses personnages par DC Comics.
Une seconde série, suite directe de la première, sera lancée en 1999 et connaîtra vingt-huit numéros jusqu'en 2001, avant la sortie de WildCATs Version 3.0 l'année suivante, pour vingt-quatre numéros jusqu'en 2004. Toujours publiées sous le label WildStorm, ces séries ne s'inscrivent pas dans l'univers de DC Comics et adoptent un ton volontairement mature, tout en continuant à développer des personnages historiques comme Spartan, devenu le remplaçant de Lord Emp, qui cherche à améliorer le monde avec l'aide de la technologie Kherubim. Elles prennent aussi une direction moins super-héroïque, abandonnant le grand spectacle désinhibé (et aussi un peu décérébré) des années 1990 !
Avec le relaunch New 52 en 2011, DC Comics et Jim Lee décident d'intégrer certains héros de WildStorm à l'univers de l'éditeur. Une démarche en dents de scie qui ne prend pas vraiment et qui, à défaut d'être un véritable échec, est surtout passée totalement inaperçue pour beaucoup de lecteurs. Dommage, car une série limitée comme The Wild Storm, qui revisite le label sous forme d’un thriller technologique, aurait mérité bien plus de reconnaissance.
Après StormWatch par Warren Ellis, The Authority et Planetary, déjà parus il y a plusieurs années, reste à savoir si ces trois volumes consacrés aux premières années de WildC.A.T.s chez Image Comics auront droit à une suite ou annoncent l’arrivée dans les mois à venir d’autres séries WildStorm chez Urban. On pense évidemment à Gen13, souvent plébiscitée par les anciens lecteurs, dont le potentiel nostalgique n’a d’égal que le malaise provoqué par toutes ces adolescentes en petite culotte… Autre temps, dirons-nous !
Pour répondre à ma propre question : se plonger, ou se replonger, dans WildC.A.T.s, trente ans après sa parution, est un exercice assez agréable.
Si vous êtes un vétéran nostalgique de ses lectures d’ado, la magie opérera forcément, et il sera donc plus intéressant de relire la série avec un peu de recul critique pour en reconnaître honnêtement les forces et les faiblesses. Vous avez vieilli et WildC.A.T.s aussi, c’est indéniable.
Si vous êtes un néophyte habitué aux publications plus modernes, voire même que le genre super-héroïque vous est totalement étranger, la découverte de WildC.A.T.s ne se fera pas sans encombre. Heureusement, le trait de Jim Lee sauve largement les premiers épisodes de la désuétude, et la montée en gamme progressive du scénario et l’enrichissement du background au fil des numéros devraient vous garder en haleine.
Quoi qu’il en soit, WildC.A.T.s restera une pierre angulaire du lancement de Image Comics et des codes du comic book de super-héros des années 1990. À ce titre, on peut dorénavant considérer la création de Jim Lee et Brandon Choi comme un classique à lire pour enrichir sa culture comics, même si ça fera sûrement hurler quelques puristes…
Découvrir WildC.A.T.s Origines - Volume 1, par Jim Lee et Brandon Choi
Découvrir WildC.A.T.s Origines - Volume 2, par Jim Lee, Brandon Choi et Chris Claremont
Découvrir WildC.A.T.s Evolution, par Alan Moore et Travis Charest
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Super article ! Merci pour ce petit bond dans les années 90 ;-) Perso, je me rappelle avoir pas mal suivi à l'époque la série Pitt chez Image Comics. Je ne sais honnêtement pas du tout si elle pourrait résister à une redécouverte comme les Wildcats !
J'attends avec impatience le 3 éme tome car j'ai le livre édité en espagnol par ECC. Cet éditeur a aussi publié Divine Right. Je n'avais jamais lu les Cats. C'est grâce au youtubeur Max Faraday que je me suis intéressé aux choses sorties dans les nineties.
Je ne sais pas pour toi Chris mais j'aurais bien voulu lire la série scénarisée par Grant Morrison. Il est incroyable pour emmener des personnages mainstream sur les sentiers du bizarre.
J'adore le niveau de langue que tu utilises dans tes textes et en audio.