J’ai assez peu de temps à consacrer à l’écriture d’articles en ce moment, et je ne pensais vraiment pas parler de cet album de Zorro par Alex Toth, fraîchement paru chez Urban Comics. Mais voilà, j’ai littéralement adoré.
Comme il l’explique lui-même dans la préface de ce splendide volume, c’est par un concours de circonstances qu’Alex Toth s’est retrouvé à dessiner les aventures de Zorro, avec pour seul objectif celui de gagner sa croûte.
Enfin libéré de ses obligations militaires ; pour lesquelles il a été mobilisé au Japon, alors toujours occupé par les États-Unis ; il revient sur le continent américain en 1956 et s’installe à Los Angeles, sur la côte Est.
Seulement, voilà, le monde des comic books, dans lequel il a débuté sa carrière en 1947, en travaillant notamment sur Green Lantern, The Flash et Atom pour DC Comics, à changé. Sous l’impulsion du psychiatre Fredric Wertham et du sénateur Estes Kefauver, la mise en place du Comics Code Authority a chamboulé le marché, forçant les éditeurs à drastiquement revoir le contenu de leurs publications, condamnant au passage certains à mettre la clé sous la porte. Ainsi, retrouver un job de dessinateur de bande dessinée s’annonce plus compliqué que prévu pour Alex Toth.
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Face au désintérêt du public pour le genre super-héroïque et à l’autocensure pratiquée par les maisons d’édition sur les comics de crime et d’horreur pour satisfaire les attentes du Comics Code, l’offre peine à se renouveler réellement et les artistes sont bridés. Toth se résigne à réaliser divers travaux de commandes, principalement pour Western Publishing et Dell Comics, chez qui il œuvre régulièrement sur la série anthologique Four Color Comics, qui présente aussi bien à son sommaire des adaptations de films, de dessins animés, ou de séries télévisées. C’est en 1958, par le biais de ce périodique au contenu chamarré, qu’il se voit confier la tâche de mettre en images les péripéties de Zorro, d’après le programme du même nom produit par Walt Disney pour la télévision entre 1957 et 1961, et avec pour mission de respecter scrupuleusement les scripts fournis par les scénaristes de la série TV.
Frustré de ne pas être crédité pour son travail, conformément à la politique appliquée par Dell à l’époque, Alex Toth déchante rapidement et reconnaît lui-même des hauts et des bas dans ses productions, en grande partie à cause de la cadence soutenue qui lui était imposée et pour laquelle il n’était que chichement rémunéré.
Cela n’empêche pas Toth de prendre beaucoup de plaisir et d’user de sa plume la plus affûtée pour croquer les aventures du justicier masqué de Johnston McCulley, apparu pour la première fois dans la revue pulp All-Story Weekly en 1919.
Proto-super-héros par excellence, Zorro est un personnage de fiction qu’il n’est plus nécessaire de présenter. Figure centrale de plus de soixante nouvelles, d’une cinquantaine de films et de plusieurs dizaines d’autres adaptations, tous supports confondus, le renard rusé qui signe son nom à la pointe de l’épée a fait vibrer plusieurs générations tout au long du XXe siècle et a récemment eu droit à des réinterprétations modernisées, que ce soit avec une nouvelle série dans laquelle Jean Dujardin tient le rôle-titre, ou sous le crayon du prodige Sean Murphy chez Massive Publishing.
Chez Dell Comics, les numéros dessinés par Alex Toth collent à la vision classique du cavalier noir, enracinée dans la culture populaire par la série télé dont ils sont inspirés.
Le bel héritier Don Diego de la Vega y joue les pleutres le jour, pour mieux enfiler le masque et la cape de Zorro à la nuit tombée. Aidé de son serviteur muet (mais pas vraiment sourd) Bernardo, il chevauche son fidèle destrier Tornado pour défendre une population opprimée par le tyrannique gouvernement de l’Empire Espagnol.
Au fil des épisodes, Zorro va prendre parti pour des innocents condamnés pour l’exemple, déjouer des complots, et ridiculiser le Sergent Garcia et ses hommes, au rythme d’une trame scénaristique pratiquement identique à celle du programme de Disney.
Si les cases de Toth mettent particulièrement en valeur les prouesses d’escrimeur et de cavalier du renard californien, dans des séquences d’action au dynamisme remarquablement percutant, le discours et les motivations de notre redresseur de torts demeurent pourtant des composantes essentielles du mythe. Derrière le charme désuet et la candeur de ces récits ponctués de gags pensés pour un large public, Zorro reste un symbole de rébellion et l’incarnation d’idéaux sociaux et politiques intemporels. Si bien que je me suis moi-même étrangement surpris à tomber dans le panneau durant cette relecture, me prenant au jeu de la croisade pour la justice de Don Diego, et m’amusant sincèrement de ses cabotinages et des tours qu’il joue à ses adversaires. L’ensemble est assez hors du temps pour rester accrocheur, et le bouquin se dévore avec un plaisir indéniable.
Ces épisodes ont été maintes fois réédités ; notamment chez Gold Key, une filiale de Western Publishing ; et Urban Comics nous propose une nouvelle version du recueil paru en 1988 aux États-Unis en deux volumes chez Eclipse, et publié en France une première fois par Futuropolis en 1990, puis par Glénat au début des années 2010.
Les planches dessinées par Alex Toth pour Four Color Comics sont ici présentées en noir et blanc, retravaillées et tramées selon les recommandations de l’auteur lui-même ; et le tout est accompagné d’une chatoyante galerie de bonus, dont la présence est vraiment un plus pour contextualiser le contenu de l’ouvrage.
En parallèle de son travail sur Zorro pour Dell Comics, Alex Toth fait ses premiers pas dans le monde de l’animation et rejoint Hanna-Barbera, où il créera le personnage de Space Ghost, un héros qui sera plusieurs fois adapté en bande dessinée. Tout en participant à la production de dessins animés comme Super Friends, Toth réalise plusieurs travaux pour les magazines de Warren Publishing, tels que Eerie, Creepy et The Rook. Ces histoires courtes ; réunies au sommaire de l’album Eerie & Creepy présentent Alex Toth, disponible en français aux éditions Delirium ; permettent d’appréhender l’évolution du style de l’artiste et la façon dont son trait à tendance à gagner en simplicité au fil du temps, sans pour autant perdre en efficacité. Sans doute exacerbée par son expérience dans l’animation, sa capacité à apprivoiser les espaces vides et les ombres pour rendre ses planches plus percutantes est couplée à un minimalisme qui renforce de façon très paradoxale l’expressivité de ses personnages. Les chutes de ces récits, elles, sont dans la plus pure tradition des magazines de Warren : violentes, perturbantes, et cyniques à souhait.
Une anthologie qui ne volera pas sa place dans la bibliothèque des amoureux du Neuvième Art.
Décédé en 2006, Alex Toth a connu une carrière atypique, pour ne pas dire erratique, et laisse derrière lui des œuvres dont la richesse et la diversité interpellent.
Intronisé au Eisner Awards Comic Hall of Fame en 1991, et considéré comme une référence absolue par beaucoup d’acteurs du monde de la bande dessinée, ce maître du clair-obscur aux multiples casquettes a influencé plusieurs générations d’auteurs partout à travers le monde. Avec son Zorro, Toth a démontré le potentiel d’artistes protéiformes tels que lui dans un milieu alors en pleine transformation, arrivant à s’exprimer malgré les contraintes et ne recevant que très peu de considération en retour. Heureusement, il n’est jamais trop tard pour découvrir ces publications et leur offrir la reconnaissance qu’elles méritent ; ce que les rééditions en version française chez Urban Comics et Delirium nous permettent de faire aujourd’hui dans les meilleures conditions.
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Bravo, super documenté cette serie est intemporelle comme l'interprétation de Guy Williams, qui n'a jamais pu vraiment sortir du rôle. Je crois qu'il a fait une autre serie, celle d'une famille dans l'espace ( désolée j'ai oublié le nom...) mais quand on le voit, on pense illico a Don Diego de la Vega. Quand a la bd présentée je vais de ce pas me l'offrir pour mon anniversaire ( on n'est jamais mieux servi que par soi même. ) Merci pour la présentation.
Déjà bravo pour ce super titre d’article 👍 Merci pour cette présentation très complète. Je n’ai jamais lu cette version de Zorro, je suis curieux de découvrir cela. Ayant été déçu par le scénario du comics de Sean Murphy je suis intéressé de découvrir un récit un peu plus ancien.