Avec COMICS FROM BEYOND, je sonde les profondeurs de l’histoire de la bande dessinée américaine et en exhume les comic books les plus étranges ou obscurs ! Aujourd’hui, direction la zonzon avec Behind Prison Bars #1, un Crime Comics publié en 1952 chez Avon Periodicals.
En 1933, le fort d’Alcatraz, situé sur l’île du même nom dans la baie de San Francisco, est converti de prison militaire en pénitencier fédéral, pouvant ainsi désormais accueillir des détenus civils. Réputée pour être un endroit dont on ne s’échappe pas, la prison d’Alcatraz va nourrir la vision d’un grand nombre d’auteurs, d’autrices, d’artistes et de cinéastes, et les fantasmes du public par la même occasion.
À partir des années 1940, le film noir devient un genre particulièrement populaire, inspiré par les enquêtes sulfureuses menées par les détectives hard-boiled de littérature policière et par l’esthétique du cinéma expressionniste. L’influence grandissante de ce courant va se répercuter sur l’industrie de la bande dessinée américaine qui, après la Seconde Guerre mondiale, cherche de nouvelles tendances pour remplacer les super-héros et autres mystery men en perte de vitesse. Entre la science-fiction, la romance, et bien évidemment l’horreur, les Crime Comics vont rencontrer un petit succès durant la deuxième moitié du Golden Age, à une époque où la censure de la Comics Code Authority n’est pas encore d’actualité, ce qui laisse libre court à la représentation d’une violence décomplexée.




Publié en 1952 sous le label A Realistic Comic de Avon Periodicals ; un éditeur qui existe toujours aujourd'hui, mais n’officie plus dans le domaine des comics books ; le premier et unique numéro de Behind the Prison Bars propose quatre histoires relatives à l’univers du crime et plus ou moins liées au milieu carcéral.
La première, “Murder at Newgate Prison”, est dessinée par Norman Nodel et encrée par Vince Alascia. On y découvre le criminel Crazy “Bo” Dellen, prisonnier mijotant son évasion avec ses co-détenus. Projetant de prendre la fuite via une étroite canalisation, il compte couvrir son départ en déclenchant une mutinerie au sein du centre de détention. Durant cette insurrection, de nombreux gardes sont tués, tandis que le directeur de la prison semble s’efforcer de ne pas blesser les mutins. Contre toute attente, Dellen ne suit absolument pas son plan de base et, totalement impliqué dans l’affrontement avec les forces de l’ordre, il est finalement abattu. Un comportement assez incohérent qui rend l'échec de son évasion prévisible. Une fois encore, la justice triomphe. Enfin, si on veut.
Il est probable que “Murder at Newgate Prison” soit en partie inspiré par le film Brute Force avec Burt Lancaster (Les Démons de la Liberté en version française), sorti en 1947. Dans ce long-métrage, le personnage de Joe Collins fomente une évasion de la prison de Westgate. Un projet qui va se transformer en rébellion sanglante, fatale pour le héros et ses compagnons d’infortune. Brute Force a lui-même été tiré d’une véritable tentative d’évasion ayant eu lieu un an plus tôt et que la presse surnommera “La Bataille d’Alcatraz”.
L’autre histoire qui vaut le détour au sommaire de Behind Prison Bars, c’est “Death Trap” de Mike Becker et Vince Alascia.
Dans celle-ci, le principal protagoniste, Peter Blair, se passionne pour les empreintes digitales. Et il sait à quel point elles peuvent être compromettantes sur une scène de crime. Sa tante Joan Carter, ancienne comédienne, dispose d’un train de vie confortable et, alors qu’elle subvenait jusqu’à maintenant aux besoins de son neveu adoré en lui versant une généreuse allocation, elle lui demande de venir la voir pour qu’ils aient une explication. Joan va se marier, et considère qu’il est temps de couper les vivres à ce profiteur qui ne fait rien de ses journées. Elle lui annonce également qu’elle le retirera très prochainement de son testament. Comprenant qu’il ne pourra bientôt plus jouir des largesses de sa tantine, Peter pète un plomb et décide de se débarrasser d’elle. Rodé aux techniques de la Police Scientifique, Peter efface méthodiquement les traces de son méfait en essuyant ses empreintes, persuadé que ce stratagème lui permettra de toucher l’héritage pour conserver son petit confort matériel. Malheureusement pour lui, il n’a pas remarqué la trace de doigt laissé par sa tante sur le col de sa chemise durant leur échauffourée. Confondu par cette preuve irréfutable, Peter doit avouer son crime. Il avait pensé à ses propres empreintes, pas à celles de sa victime !
Les deux récits restants sont moins surprenants et leurs intrigues paraissent surtout beaucoup plus expédiées.
Dans “The Gorilla Killer” de Harry Lazarus, Blackjack Al Neelson, un caïd de retour aux affaires après sa sortie de prison, va avoir beaucoup de peine à retrouver sa place dans le milieu. Et dans “Charlie Lupetti and His Bullet-Proof Gang” de Mort Meskin, le susnommé Charlie Lupetti, leader d’un gang mafieux, va connaître un funeste destin en cherchant à s’évader de prison.
Il est important de souligner que si l’intérêt global du fascicule n’est pas très élevé, les artistes qui y participent ne sont pas n’importe qui.
Norman Nodel, après avoir occupé un poste d’illustrateur militaire pendant la Seconde Guerre mondiale, se tourne vers la bande dessinée. Il est reconnu pour ses travaux sur Classics Illustrated chez Gilberton Publications, adaptant Les Dix Commandements, Voyage au Centre de la Terre, Faust, Cléopâtre ou encore Les Misérables. Vince Alascia, lui, succède à Joe Simon et Jack Kirby en dessinant plusieurs aventures de Captain America dans All-Select Comics et All Winners Comics. Il travaille aussi sur les aventures de plusieurs autres super-héros et super-héroïnes du Golden Age, du Whizzer à Miss America, en passant par le Sub-Mariner. Harry Lazarus et Mort Meskin ont également connu de riches carrières. Le premier a réalisé de nombreuses histoires de monstres et d’horreur pour des revues comme Forbidden Worlds, Strange Tales ou Adventures into the Unknown. Le second, qui a fait ses premières armes au studio Eisner & Iger, a eu un parcours particulièrement prolifique, notamment chez DC Comics, où il a officié sur House of Mystery, House of Secret et Action Comics.
Enfin, il faut souligner que la couverture est l’œuvre de Everett Raymond Kinstler, qui deviendra le portraitiste officiel des présidents Gerald Ford et Ronald Reagan.
Si Behind Prison Bars #1 est étiqueté comme “réaliste” par son éditeur, le ton y reste tout de même assez léger, quoique sciemment racoleur. Mais malgré la violence omniprésente et son affichage explicite, la morale est toujours la même : commettre un crime risque de vous envoyer derrière les barreaux !
Il est plaisant de constater que les créateurs derrière ces trente-six pages de bandes dessinées ont su s’inspirer d’un mélange de faits divers sordides bien réels, de films d’évasion et des balbutiements de la Police Scientifique, pour offrir un résultat tout à fait divertissant.
Même si les Crime Comics ne constituent pas l’essentiel du catalogue de Avon Periodicals ; l’éditeur pouvant en revanche se vanter d’être l’initiateur de la vague horrifique ayant envahi le marché des comics à partir de 1947, dans le sillon de son périodique Eerie ; on aura sûrement l’occasion de revenir un jour sur ses séries Prison Break ! ou Famous Gangsters, qui déroule le tapis rouge à Al Capone, Lucky Luciano et John Dillinger !
Jusqu’à la prochaine fois, je compte sur vous pour avoir de saines lectures !
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Je pense que ces récits carcéraux, clairement niche, auraient pu se montrer très intéressant avec plus de temps.