POURQUOI J'AIME BERSERK ?
Comment le manga culte de Kentarō Miura a fracassé ma perception de la bande dessinée ?
Il y a des œuvres cultes sur lesquelles tout a déjà été dit. Alors, j'ai décidé d’adopter un angle un peu plus personnel pour vous raconter à quel point un manga incontournable a marqué mon parcours de lecteur.
Aujourd’hui, je reviens sur Berserk de Kentarō Miura !
Nous sommes en 2004, et je viens de faire ma rentrée en 1re S.
Le vendredi, après les cours, en attendant mon bus, j’aime arpenter les rayons du Madison Nuggets local ; une chaîne de magasins dont vous avez sûrement oublié l’existence, pour peu que vous en ayez eu connaissance. À l’époque, pas de YouTube, pas de réseaux sociaux, pas d’influencers. Pour découvrir des livres, des albums, ou des films qui correspondent à mes attentes, je compte sur deux choses : les magazines spécialisés ; comme Mad Movies, Animeland, ou Hard n’ Heavy ; et le hasard.
Retrouvez tous les liens utiles pour vous procurer les lectures recommandées dans cet article en bas de page !
Découvrir des trucs par hasard, c’est pratiquement devenu impossible à l’heure de l’actualité en continu et des newsers qui vomissent du spoiler à la chaîne, mais pourtant, c’est comme ça que j’ai découvert Berserk.
Au détour du rayon manga, une nouveauté attire mon attention. Emballé dans un film plastique pour empêcher quiconque d’y avoir accès, le mystérieux ouvrage est orné d’un sticker qui ne laisse personne indifférent : “Pour lecteur averti”.
Dans ce genre de situation, trois possibilités s’offrent à vous. Soit vous vous savez sensible et facilement impressionnable, et vous passez votre chemin. Soit vous vous considérez comme un lecteur averti, bien conscient de ce à quoi il va s’exposer. Soit, comme ce fut le cas pour moi, cet avertissement provoque immédiatement chez vous une curiosité qu’il faudra assouvir tôt ou tard.
J'étais déjà lecteur de Spawn, de Hokuto no Ken, ou d’autres bandes dessinées particulièrement violentes, et j'avais déjà vu ce genre d’avertissement. Mais il me semble que c'était la première fois que je tombais sur un bouquin scellé pour s’assurer que la brutalité qu’il renfermait ne s’en échappe pas. Alors, évidemment, je m'empressais de prendre de premier tome de Berserk, sans même savoir qu’il s'agissait là d'une nouvelle édition proposée par Glénat, après deux tentatives avortées chez Samouraï Éditions et Dybex.




La découverte de Guts, cet enfant né alors même sa mère, condamnée à être pendue, succombait ; puis recueilli par des mercenaires et formé dès son plus jeune âge au combat, maniant une épée trois fois trop grande pour lui, fut un véritable choc. De sa rencontre avec la Troupe du Faucon, menée par l’énigmatique et séduisant Griffith, et avec l’indomptable Casca, incontestablement l’un des personnages les plus malmenés de la saga, jusqu’à la cataclysmique éclipse qui provoquera la mort d’une grande partie de ses amis, et lui coûtera un bras, j’ai littéralement vibré en lisant les aventures de Guts. Enfant maudit, accusé d’apporter le malheur avec lui partout où il va, il devient un guerrier noir monolithique, tranchant ses ennemis par centaines à l’aide de son épée démesurée, avant d’obtenir un pouvoir encore plus grand, l’armure du Berserker, avec laquelle il dépasse ses limites, jusqu’à risquer de perdre son humanité. Se retrouvant bien malgré lui au centre d’une intrigue dont les enjeux divins le dépassent, ce héros solitaire allait maintenant devoir protéger Casca, devenue muette et sans défense, et affronter son ancien ami Griffith, transfiguré en un être démoniaque et invincible. Cette rivalité participe à la toile de fond du monde de Berserk, un univers de Fantasy sombre et menaçant, dans lequel des citées autrefois resplendissantes s’enfoncent dans le chaos et dans les ténèbres, victimes de la soif de pouvoirs d’individus pervertis et rongés par les déviances les plus immorales. En saupoudrant allégrement l’ensemble de séquences gores et de monstres difformes tous plus menaçant les uns que les autres, Kentarō Miura offrait de quoi faire baver n’importe quel adolescent adepte de trucs bad-ass, ce que j’étais totalement.



Mais, Berserk, c’est bien plus qu’un manga ultra violent rempli de créatures colossales répugnantes et de scènes choc.
L’adolescence est une période où l’on façonne sa personnalité, en développant des centres d’intérêt qui nous sont propres, liés à notre milieu social et culturel, et parfois en opposition à des normes socialement acceptables ou à une culture qui serait politiquement correcte. De mon côté, la découverte de Berserk va de pair avec celles d’autres univers de fiction qui y sont intimement liés. Impossible de ne pas penser à Hellraiser de Clive Barker à la vision des God Hand, lointains cousins des Cénobites, et du Beherit Pourpre, dont les pouvoirs rappellent ceux de la Boîte de LeMarchand. Difficile de se dire que Miura ne s’est pas inspiré du casque du personnage de Phantom of the Paradise de Brian De Palma pour dessiner celui de Griffith ou, à l’inverse, que les équipes de Capcom derrière la licence Devil May Cry n’ont pas été influencées par le style de combat si singulier de Guts et de sa gigantesque épée.
En tant qu’ado assoiffé de culture populaire, Berserk s’imposa donc à moi comme une sorte de carrefour entre ce que je connaissais déjà et ce que j’avais encore à découvrir. Notamment tout ce dont s’est nourri Kentarō Miura pour donner vie à l’univers dans lequel Guts doit survivre, du travail d’artistes comme Jérôme Bosch, Pieter Brueghel, ou Gustave Doré ; à la série littéraire de fantasy nipponne Guin Saga, qui n’a malheureusement eu droit qu’à une traduction partielle en France, chez Fleuve Noir. Autant d’influences que j’ai ensuite eu envie d’explorer par curiosité, justement parce que j’avais aimé Berserk.
Bien qu’encensé par une large majorité d’amateurs et d’amatrices de manga, Berserk n’est pas sans défauts. Si, à titre personnel, j’ai trouvé que certains arcs traînaient parfois en longueur, l’un des principaux reproches que l’on puisse faire à la série de Miura est tout à fait paradoxal : son impact considérable sur la Pop Culture d’aujourd’hui, notamment en généralisant les codes de la Dark Fantasy, jusqu’à provoquer le ras-le-bol d’une partie des fans de Fantasy plus traditionnelle.
Cette évidente influence de Berserk est remarquablement mesurable dans le monde du jeu vidéo, où des licences comme Dark Souls, Elden Ring, Blasphemous, Dead Cells, et même certains épisodes de la saga Final Fantasy, ne peuvent renier avoir puisé une partie de leurs références dans le manga de Kentarō Miura.
Mais, pour ma part, ça va maintenant faire vingt ans que je lis Berserk, et je ne m’en suis jamais lassé. Cette série compte sans aucune hésitation parmi mes bandes dessinées préférées. Elle a foncièrement changé ma façon d’appréhender le Neuvième Art et a participé à la construction de mon bagage culturel, bien au-delà des frontières de la BD.
En mai 2021, Kentarō Miura disparaissait brutalement, laissant son œuvre inachevée.
Lui qui craignait de ne pas pouvoir terminer Berserk est fauché à seulement cinquante-quatre ans, indubitablement épuisé par son travail acharné et rigoureux.
Reprise par Kōji Mori, ami proche de l’auteur, et par le Studio Gaga, rassemblant les assistants de Miura, la série continue, avec un quarante-deuxième tome, sorti récemment chez Glénat Manga en France. Supervisé par Mori selon les confidences de Kentarō Miura quant à ses plans pour la suite de Berserk, ce nouveau départ représente un véritable défi, tant la réputation du manga a tendance à le précéder. C’est d’ailleurs à la lecture de ce nouveau volume que je me suis dit qu’il était temps pour moi de parler de Berserk. En partie, parce que le décès de Miura marque un tournant qui n’aura plus jamais d’équivalent pour sa création, et deuxièmement parce que voir celle-ci lui survivre et perdurer malgré sa mort en dit long sur le statut exceptionnel de cette bande dessinée culte.
De toute évidence, je ne peux que vous recommander de vous plonger dans l’univers de Berserk si ce n’est pas déjà fait. Et si vous étiez frileux à l’idée de voir le manga repris par une nouvelle équipe, et bien sachez que la qualité est au rendez-vous, et que ce tome quarante-deux marque le début d’un nouvel arc qui s’annonce palpitant, tout en étant respectueux de l’esprit de la série et de ce qu’elle avait pu proposer jusqu’à présent. N’hésitez pas non plus à aller jeter un œil aux autres travaux de Kentarō Miura, comme Japan, Gigantomachia, ou Dur-an-ki, certes moins vertigineux que Berserk dans ce qu’ils proposent, mais particulièrement intéressants pour découvrir un autre visage de l’artiste à travers le choix de ses thématiques. Enfin, pour aller plus loin, je vous conseille également de vous pencher sur le guidebook officiel, disponible chez Glénat, et sur l’excellent livre Berserk : À l’Encre des Ténèbres, signé Alt236, chez Third Éditions.
Pour continuer Berserk :
Pour découvrir l’œuvre de Kentarō Miura :
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Super article sur une oeuvre qui a en effet marqué ! Perso, je n'ai pas lu le manga mais j'ai adoré l'anime de 97. Comme tu le précises, les équipes du studio FromSoftware ont placé de nombreuses références à Berserk dans leurs jeux, et ils se sont particulièrement lâchés avec l'immense Elden Ring ! Bien vu pour l'inspiration Hellraiser !! Si tu aimes le(s) film(s) - le premier m'avait traumatisé - je te conseille l'émission consacrée à la saga par Marie Casabonne et Capture Mag : https://www.youtube.com/watch?v=viEssnhJ_to
Le manga, malgré son incroyable diversité, m'a toujours plutôt laissé de marbre... et un pote a commencé à me prêter ses "Berserk" voilà quelques semaines!
Bon sang que c'est bien! J'en suis au numéro 16 (le combat contre "l'elfe" Rosine) et ne me suis pas encore ennuyé.
(Bon article une fois de plus)