CHRIS - POP CULTURE & COMICS
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CANNIBAL CORPSE : DEATH METAL, CENSURE & COMICS
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CANNIBAL CORPSE : DEATH METAL, CENSURE & COMICS

Ou l’art dérangé et dérangeant de Vince Locke…

L’art et la censure ne font jamais bon ménage. Et c’est particulièrement vrai quand on parle de l’histoire de la bande dessinée américaine et de musiques extrêmes. Alors, quand les deux se rencontrent, ça ne peut qu’effrayer les puritains de tout poil ! Aujourd’hui, on revient sur les visuels traumatisants des albums du groupe de Death Metal Cannibal Corpse et sur l’artiste qui en est à l’origine : Vince Locke ! 

Si vous savez déjà que je suis un fieffé amateur de neuvième art, et bien ce n’est pas ma seule passion.
Depuis de nombreuses années, je suis également un fervent adepte de ce qu’on appelle la musique Metal. Si ce n’est pas le seul genre que j’écoute, c’est sûrement le principal, et dans ce domaine, je ratisse assez large, du Neo-Metal de mon adolescence au Doom le plus massif, en passant toutes sortes de courants plus ou moins extrêmes ou mélodiques. Pour faire simple, j’apprécie le Metal et la vaste culture qu’il représente autant que les comics, et, de toute évidence, la rencontre entre ces deux passions m’enchante au plus haut point. De Kiss et Alice Cooper transformés en héros de comic books par Marvel, à la bande originale de Witchblade concoctée par Image Comics, sur laquelle on retrouve Megadeth et Peter Steele de Type O Negative, en passant par The Amory Wars, la bande dessinée du groupe Coheed & Cambria, les liens directs entre le Metal et les comics sont nombreux, et il est pratiquement impossible d’énumérer toutes les influences artistiques croisées qui existent entre ces deux formes d’art. L’une des plus évidentes étant les pochettes d’album dessinées par des artistes célèbres : Frank Frazetta pour Molly Hatchet, Simon Bisley pour Danzig, ou encore Todd McFarlane pour Korn. Mais, celui sur lequel j’avais envie de revenir est aussi hors norme qu’emblématique : Vincent Locke, l’illustrateur derrière les visuels du groupe Cannibal Corpse
Attention, l’univers visuel de ce dernier étant particulièrement explicite, il est réservé à celles et ceux ayant le cœur bien accroché et une tolérance certaine à l’imagerie gore. Vous voilà prévenus ! 

Musiques extrêmes et comic books, une longue histoire...

Fondé en 1988, Cannibal Corpse est un groupe à la longévité remarquable, dont la discographie compte pas moins de seize albums studio. 
Pionnier d’un Death Metal toujours plus extrême, le groupe s’est fait connaître d’un large public en assumant ouvertement son goût pour la transgression, notamment à travers ses textes traitant de toutes sortes de déviances plus macabres les unes que les autres. Meurtre, nécrophilie, cannibalisme, viol, torture et autres joyeusetés sont au programme quand on prend la peine de décrypter les paroles du charismatique George “Corpsegrinder” Fisher, chanteur du groupe depuis 1995. 
Les titres sont évocateurs : Necropedophile, I Cum Blood, Fucked With A Knife, ou encore Hammer Smashed Face ; et, de toute évidence, les membres de Cannibal Corpse sont bien conscients des polémiques découlant des histoires que racontent leurs chansons. George Fisher et le bassiste Alex Webster se sont d'ailleurs exprimés de nombreuses fois sur le sujet, rappelant que les textes de Cannibal Corpse sont avant tout des fictions. À l’instar des films d’horreur, les morceaux du groupe sont des objets de divertissement qui peuvent servir de défouloir, mais qui ne font en aucun cas l’apologie de la violence.
Les musiciens insistent même sur le fait que la réalité historique est souvent bien plus violente que leurs chansons, ce qui n’a pas empêché plusieurs hommes politiques américains de partir en croisade contre le groupe, allant jusqu’à l’accuser de salir l’image des États-Unis d’Amérique ! En Allemagne et en Australie, les premiers albums de Cannibal Corpse ont longtemps été interdits à la vente. Le groupe a également rencontré de grandes difficultés à se produire sur scène dans ces pays, tout comme en Russie, où des activistes religieux ont milité pour l’interdiction de leurs concerts. 

Les fameuses pochettes des albums de Cannibal Corpse, par Vince Locke.

Il faut dire qu’avec ses pochettes d’album dépassant largement les limites du bon goût, le gang de chevelus agace les censeurs en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Depuis la sortie de la première galette du groupe, Eaten Back to Life, en 1990, ces visuels gores et outranciers sont l’œuvre du dessinateur Vince Locke, pratiquement devenu un membre à part entière de Cannibal Corpse avec le temps, tant son trait est aujourd’hui indissociable de leur univers. 
Originaire du Michigan, Vincent Locke commence à travailler dans le monde du comic book indépendant en 1986. Avec le scénariste Stuart Kerr, il crée Deadworld chez Arrow Comics, une série d’horreur décomplexée dans laquelle un groupe de jeunes doit survivre à une apocalypse zombie. En 1988, la publication de Deadworld est reprise par Caliber Comics. Le scénario de la série sera assuré par Gary Reed, le fondateur de Caliber, puis par Mark Bloodworth, tandis que Locke intervient à différents postes, secondé de Dan Day, Phil Hester ou Ron McCain, jusqu’au vingt-sixième et dernier numéro de ce premier volume, publié en 1993. 
En parallèle, Caliber lance une seconde série, toujours écrite par Gary Reed, et dessinée par Troy Nixey et Chris Torres, qui continue de développer l’univers de Deadworld. En 2005, Vince Locke retrouve Gary Reed et s’adjoint les services de Dalibor Talajić pour un troisième volume comptant six numéros, chez Image Comics

Sorte de proto-Walking Dead, Deadworld reconsidère en profondeur l’utilisation des zombies dans la fiction et les thématiques soulevées par ces derniers. 
Bien que la figure du mort-vivant soit loin d’être nouvelle dans la bande dessinée américaine à l’époque, et ce, malgré une longue période où la censure du Comics Code Authority a tout bonnement interdit sa présence dans les comic books, le rôle réservé aux créatures d’outre-tombe était jusqu’alors dérisoire, voire inexistant chez les Big Two. Il y a bien entendu quelques exceptions : dès 1973, Marvel Comics avait proposé une version quasi-romantique du revenant en putréfaction avec le personnage de Simon Garth, dans son magazine Tales of the Zombie, tandis que chez le concurrent DC Comics, c’est Solomon Grundy qui joue le cadavre ambulant de service. Mais Marvel Zombies et DCeased sont encore loin, et ces personnages restent secondaires et sont utilisés avec beaucoup de retenue par les éditeurs. Avec le Comics Code Authority en place, il n’est pas question pour la bande dessinée mainstream de verser dans l’horreur trop explicite, et encore moins dans le gore. 
Avec le très étrange antagoniste qu’est King Zombie, Deadworld adopte une approche beaucoup plus directe et rock 'n' roll du mort-vivant. Le Day of the Dead de George Romero, sorti dans les salles obscures en 1985, est passé par là, et les artistes, tout comme le public, sont désormais conscients que les zombies peuvent être plus que de simples goules au comportement erratique. Le zombie pense, parle, est conscient de sa situation, et, malgré son état, aspire à différents buts, plus ou moins rationnels. Deadworld présente également de nombreuses scènes extrêmement violentes, allant de la torture au cannibalisme, en passant par la nécrophilie, mais adopte aussi un ton volontairement irrévérencieux, nourri d’humour noir et d’anticléricalisme. Un mélange transgressif typique des comics indépendants de l’époque, largement libérés du poids de la censure, qui a indéniablement participé à la réputation et à la longévité de la licence auprès d’une petite sphère d’initiés.

Bien que Deadworld reste l’un des travaux les plus remarquables du parcours atypique de Vince Locke, l’artiste s’est illustré sur d’autres projets prestigieux au fil des années. 
En 1997, il dessine le roman graphique écrit par John Wagner : A History of Violence, qui sera adapté en 2005 au cinéma par David Cronenberg
Il œuvre également de façon épisodique chez DC Comics, et plus particulièrement sur les publications du label Vertigo, comme Sandman de Neil Gaiman, ou The Unwritten, ainsi que sur quelques numéros de 2000AD. En 2020, il participe à The Dollhouse Family, une série du Black Label de DC signée Joe Hill, le fils de Stephen King, devenu célèbre pour ses comic books horrifiques.
Le travail de Locke a sans conteste joué un rôle majeur dans le succès rencontré par Cannibal Corpse, tant en séduisant les fans d’imagerie horrifique en quête de sensations fortes qu’en alimentant les controverses autour du groupe de Death Metal.
Dans certains pays, l’artiste a dû produire des pochettes alternatives afin que la vente des albums soit autorisée, tant ses dessins vont à l’encontre de la morale et de ce qu’il est acceptable d’afficher publiquement dans de nombreuses cultures. En choisissant de travailler avec Vince Locke, Cannibal Corpse a réalisé un coup de com’ de génie, qui a nécessairement eu un effet sur leur notoriété au sein de la scène metal extrême, leur donnant le statut d’une formation aux productions excessivement abominables et surtout sans concession. 

L’accomplissement de cette collaboration, c’est la publication de deux comics estampillés Cannibal Corpse par leur label Metal Blade Records : Unleashing The Bloodthirsty en 2003, adaptation de la chanson du même nom dans un fascicule de douze pages, et le beaucoup plus ambitieux Evisceration Plague en 2009, qui met cette fois-ci en images l’intégralité de l’album éponyme dans un tome de quatre-vingt-seize pages. Dans les deux cas, l’intégralité des illustrations est signée Vince Locke et la démarche est avant tout de proposer aux fans les plus hardcore une gratification unique en son genre, inspirée des paroles débauchées du groupe de Death Metal. Depuis, Locke a continué de travailler sur plusieurs comics, comme Flowers on the Razorwire, une anthologie horrifique publiée par Boneyard, ou Junction True, une dystopie de body horror. 

Si George “Corpsegrinder” Fisher s’est souvent montré sous un excellent jour d’un point de vue médiatique, en se révélant être un fanatique de jouets en peluche et en participant à des opérations caritatives, d’autres membres de Cannibal Corpse ont connu des péripéties bien moins glorieuses. 
En 2018, Pat O’Brien, guitariste au sein de Cannibal Corpse depuis 1997, est arrêté dans une situation pour le moins rocambolesque. Alors que sa maison est en flammes, il entre par effraction chez ses voisins et attaque un officier de police avec un couteau. L’incendie de son domicile a été particulièrement difficile à éteindre, compte tenu des explosions provoquées par la considérable quantité de munitions qu’il stockait chez lui, visiblement persuadé qu’une vague d'enlèvements massive, potentiellement orchestrée par des extraterrestres, était en préparation. 
Plus d’une cinquantaine de fusils, des dizaines d’autres armes à feu, et même deux lance-flammes, seront saisies dans les ruines de la maison du guitariste, qui sera finalement condamné à cent cinquante heures de travaux d’intérêt général, ainsi qu’à une forte amende et un suivi de cinq ans durant lequel il devra se soumettre à des tests de dépistage pour la drogue et l’alcool. Si les circonstances exactes de tous ces événements restent floues, O'Brien sera définitivement évincé du groupe en 2021. 

Cannibal Corpse : le livre de coloriage !

L’un des derniers scandales liés à la collaboration entre Cannibal Corpse et Vince Locke est pour le moins saugrenu : en décembre 2023, le groupe a lancé un cahier de coloriage reprenant les plus célèbres visuels de son artiste fétiche. Une pratique qui semble aux antipodes des habitudes de vie des metalleux, mais déjà adoptée par Iron Maiden, qui a proposé plusieurs livres à colorier compilant les dessins de Derek Riggs, l’illustrateur derrière leur fameuse mascotte Eddie.
Malheureusement pour Cannibal Corpse, qui se vantait d’avoir créé le premier livre de coloriage soumis à un accord parental, ce produit dérivé déconcertant a été interdit en Allemagne avant même sa commercialisation. 

L’art doit-il choquer et déranger pour être efficace ? La violence la plus gore et les images les plus épouvantables peuvent-elles vraiment diffuser un message et inviter à la réflexion sans perturber les individus les plus sensibles ?
Si les avis divergent, pour Cannibal Corpse, la réponse est “oui” ! Offenser pour exister, scandaliser pour divertir et ouvrir le débat, voilà ce que le groupe américain et leur artiste fétiche Vince Locke ont décidé de faire depuis plus de trente-cinq années. 
Quel que soit votre genre musical de prédilection, et que vous soyez ou non un amateur d’horreur, l’univers hors norme de ces artistes ne peut que difficilement vous laisser indifférents, et j’espère surtout qu’il vous encouragera à rester curieux et ouverts d’esprit !


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Avec POP CULTURE & COMICS, Chris explore la bande dessinée américaine et ses dérivés dans la culture populaire.