COME HOME INDIO : L’AMÉRIQUE DE JIM TERRY
Une autobiographie en bande dessinée à découvrir chez Komics Initiative !
Tout commence au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, en janvier 2023. Tandis que je discute avec le passionnant Laurent Lefeuvre, qui me dédicace son magnifique ouvrage Refuge(s), sur le stand de Komics Initiative, mon regard est attiré par le travail de son voisin de table, qui dessine un cheval à main levée avec une facilité déconcertante : un dénommé Jim Terry.
Devant me tenir à quelques obligations liées au FIBD, je quitte le créateur de Fox-Boy, ou Paotr-Louarn pour mes amis bretons, avec ma dédicace encore fraîche, et me promets de revenir plus tard pour échanger avec son fameux voisin, dont le style m’a tapé dans l’œil.
Un an. C’est le temps qu’il m’aura fallu pour revenir voir Jim Terry, au Festival d’Angoulême 2024, donc. Arrivant sur le tard, le vendredi soir, j’échange quelques mots avec cet homme à l’attitude réservée qui rayonne d’une simplicité et d’une gentillesse presque désarmantes. Quand il me demande quel dessin je souhaite pour la dédicace sur la page de garde de son autobiographie Come Home Indio, je lui dis de tout simplement dessiner ce dont il a envie.
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Bien que la renommée de ce livre me paraisse confidentielle, même à l’échelle du petit milieu des fans de bande dessinée, j’avais lu beaucoup de bien de Come Home Indio avant de me lancer dans sa lecture. Jim Terry y raconte son parcours de vie, celui du fils d’un musicien de jazz d’origine irlandaise et d’une native américaine de la nation des Ho-Chunk. Un métissage qui va, dès son plus jeune âge, cristalliser la difficulté que Jim a à trouver sa place dans la société américaine.
Né en Californie, élevé entre une banlieue des plus classiques et Indian Heights au Wisconsin, où vivent ses grands-parents maternels, entre la modernité et les traditions de ses ancêtres autochtones, il ne reconnaît nulle part son véritable foyer.
Dans une cellule familiale dysfonctionnelle, Jim et sa petite sœur Elena vont voir leurs parents se déchirer sur fond d’excès d'alcool, avant d’être ballottés entre leur père Bill, que la sobriété rendra aigri et taciturne, et leur mère Debbie et son nouveau compagnon, Don.
Si ses grands-parents semblent être une sorte de phare dans cette enfance sombre et tourmentée, Jim, contrairement à sa sœur, ne parviendra pas à retrouver ses racines dans les rites de ses aïeux amérindiens, ce monde lui semblant bien trop éloigné de son quotidien de citadin.
Se plongeant très jeune dans la lecture, fou de comics et de cinéma d’horreur, Jim Terry va aussi rapidement prendre goût à l’alcool, y voyant un moyen de s’intégrer socialement et de se rapprocher de la gente féminine, avant de définitivement sombrer dans l’alcoolisme au cours de ses études supérieures.
Cette addiction est un élément central de Come Home Indio : Jim boit pour s’amuser, pour oublier ses soucis, pour surmonter une rupture difficile, et finalement pour oublier qu’il boit. Ne parvenant plus à cacher son alcoolisme, le jeune homme se replie peu à peu sur lui-même, dans une solitude autant subie que recherchée.
Après une série de trous noirs qui lui fait comprendre qu’il risque sa vie durant ses errances nocturnes alcoolisées, Jim décide de se faire aider et entreprend un parcours de sevrage qui ne sera pas sans difficultés.
La découverte du travail de Will Eisner va également aider Jim Terry à s’extirper de cette dépendance en lui donnant envie de reprendre le dessin. Son acharnement finira par payer : contacté par James O’Barr, le créateur de The Crow, à qui il avait laissé quelques planches des années auparavant, il se verra confier en 2012 la réalisation de The Crow : Skinning the Wolves, disponible en français chez Vestron, puis travaillera ensuite sur plusieurs séries pour Dark Horse, IDW et Dynamite Entertainment.
Il cite également parmi ses influences majeures les travaux de Bernie Wrightson, découvert dans les magazines d’horreur de sa mère, comme Creepy, ce qui explique sans doute le magnifique Swap Thing qu'il a décidé de dessiner dans mon exemplaire de son livre.
Come Home Indio parle aussi des deuils traversés par Jim Terry : la perte de son demi-frère durant l’enfance, de son père, puis de sa mère, et la façon dont son cercle familial se reconstruit, notamment à travers la lutte pour la préservation de la réserve indienne de Standing Rock, dans le Dakota du Nord.
Jim Terry et sa sœur participent à ce mouvement, qui vise à empêcher l’implantation d’un pipeline sur une terre sacrée pour les natifs américains. Un épisode dont la narration particulière tranche avec le reste de l'autobiographie, l’auteur passant d’un format de bande dessinée classique à des dessins en pleine page accompagnés de texte en prose. Ce passage symbolique marque le début d’une nouvelle vie pour lui, une façon de renouer avec ses origines en embrassant un combat culturel et politique, en pleine campagne présidentielle aux États-Unis, qui mènera à l’élection de Donald Trump.
À travers l’histoire d’un seul homme, c’est aussi une histoire étasunienne remplie de non-dits que l’on découvre : celle d’un pays construit sur une campagne génocidaire envers les natifs américains, gangrené par la misère sociale, et où l’alcool est un fléau qui sert de refuge aux paumés et aux oubliés du système.
Un témoignage touchant et passionnant qui vaut vraiment le détour, tant il éclaire sur les différentes phases de la vie d’un artiste dont on ne saurait soupçonner qu’il a traversé toutes ces épreuves. Paru aux États-Unis en 2020 chez Street Noise Books, Come Home Indio est disponible en français chez Komics Initiative, et profite d’ailleurs d’une brillante traduction signée Jérôme Wicky. Une véritable pépite sur laquelle vous pouvez vous jeter sans hésiter !
Retrouvez Come Home Indio sur le site de Komics Initiative !
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