Les petits français ne savent plus lire, et pour ceux qui parviennent à déchiffrer un texte, il n’est même pas sûr qu’ils le comprennent. Mais il y a plus grave : ils ne lisent pas de comics ! Et la question qu’il faut se poser, c’est : POURQUOI ?
Le Manga, c’est caca !
Entre budget serré et jugement de valeur à la moindre occasion, pas facile d’avoir accès à la Culture en ce bas monde !
Il y a quelques mois, la mise en place du Pass Culture pour les jeunes faisait grand bruit. Principalement lorsque, comme bien souvent, les non-concernés ont commencé à juger les achats réalisés avec l’aide du pass en question.
Si on pourrait longuement débattre du fait que l’accès à la Culture ne devrait pas être un problème de moyens, et encore moins être soumis à la mise en place de “chèques-cadeaux”, les débats qui ont suivi étaient d’un tout autre niveau.
Fallait-il dépenser les 300€ du Pass Culture en achetant des mangas ? Voilà une question qui en dit long sur la vision totalement arriérée et même parfois sur l’obscurantisme de certains quand il s’agit de Culture.
Si la réponse me paraît évidente, et semblait faire l’unanimité dans la galaxie des amateurs de Pop Culture dans laquelle je gravite sur les réseaux sociaux, d’autres questions, cette fois-ci bien plus pertinentes, s’ajoutaient au fur et à mesure des échanges.
L’une des principales interrogations étant : pourquoi le manga plutôt que les comics ?
S’il est toujours extrêmement complexe d’avoir des chiffres fiables en terme de vente, on sait cependant que le secteur de la bande dessinée américaine est ultra-minoritaire en comparaison de son homologue japonais, la France étant, comme on le sait tous “l’autre pays du Manga”.
Pour plus de détails sur les chiffres et sur la façon dont ils sont obtenus, je vous renvoie à cet article de Comicsblog, et à l’étude de Xavier Guilbert.
De mon simple point de vue de lecteur de comics depuis plus de 20 ans, il y a pourtant quelques différences évidentes qui poussent un jeune à se tourner plutôt vers le manga que vers la bande dessinée américaine.
Si j’ai vu pas mal de monde soutenir que le prix ne jouait pas un rôle très important dans ce choix, j’ai quand même du mal à imaginer qu’il ne pèse pas un minimum dans la balance.
Là où un manga “standard” va coûter en 8 et 10 euros, un comic book cartonné en format “librairie” revient, au minimum, à 15€, voire même 19 ou 20 depuis quelques temps.
Dans notre position de lecteurs habitués, évoluant dans un petit milieu où certains dépensent chaque mois des centaines d’euros en comics, l’écart n’est peut-être pas énorme. Mais pour le commun des mortels qui ne consacre pas l’intégralité de son maigre budget divertissement à la bande dessinée, ces quelques euros peuvent faire la différence, surtout si on se rappelle que le panier moyen annuel est très éloigné des achats compulsifs provoqués par la “collectionnite”, mais j’y reviendrai tout à l’heure.
Les comics souffrent aussi d’une réputation qui a la peau dure quant à leur accessibilité difficile. Si les offres à petit prix de Panini ou Urban tentent de convertir le quidam remplissant son chariot chez Carouf, pas sûr que l’essai soit systématiquement transformé.
De ce que j’ai pu constater sur le web, bon nombre des lecteurs qui profitent de ces offres sont déjà des amateurs de comics, qui trouvent ici l’occasion d’ajouter à leur collection quelques récits incontournables à moindre coup. Une chouette opération, donc, mais quel pourcentage de nouveaux lecteurs séduit par ces collections finit par pousser la porte d’une librairie spécialisée ? Difficile de le savoir…
Et si l’influence des adaptations au cinéma ou en séries sur les différentes plateformes comme Netflix ou Prime Video pousse quelques curieux à ouvrir les comic books originaux, on l’a vu pour Locke & Key ou pour The Boys, il persiste une vraie difficulté à convertir les fans adeptes du binge-watching au format papier.
Un problème qui découle potentiellement de faiblesses éditoriales, mais on en reparle un peu plus bas.
Enfin, l’envie ou non de partager une passion découle forcément de notre rapport à la communauté. Et c’est pas toujours facile d’y trouver sa place…
La Grande Famille
Je l’ai déjà dit à de multiples reprises, la fameuse idée de “Grande Famille”, défendue dans de nombreux milieux, du Metal aux Comics, est incontestablement l’un des concepts les plus pétés, et même dangereux, qui existent. Ceux qui osent encore le défendre ne sont que des menteurs, dont le but n’est autre que de tirer partie d’une communauté en s’en revendiquant, directement ou non, comme un fédérateur.
Dérives, culte de la personnalité et abus en tous genres sont au programme des “Grandes Familles”. Mais libre à chacun de préférer se voiler la face.
Maintenant que le décor est posé, venons en au fait : la communauté des lecteurs de comics francophones n’a rien d’idyllique. Si vous en doutez, lancez un débat quelconque sur la diversité dans les comics et laissez reposer deux heures sur Facebook. Grosse rigolade garantie. Ça marche aussi avec le prix des comics calculé à la page, pour peu que vous ayez gardé votre calculatrice de lycéen.
Il faut ajouter à cela que c’est un milieu assez hermétique. Le profane est le bienvenu dans une certaine mesure, mais il devra se plier aux règles des gardiens du temple, autoproclamés détenteurs du bon goût.
Évidemment, tout ce bazar est exacerbé par internet, dans le sens où ledit bon goût varie en fonction des modes et des saisons. Ainsi, le puriste conchiera toute forme d’adaptation cinématographique en avril, mais vous qualifiera “d’Anti-Marvel” en juin si vous avez le malheur de dire que le dernier film du MCU n’était pas terrible. Ne cherchez pas, il n’y a pas de règle. D’ailleurs, la “Grande Famille” vous assurera que votre impression n’est pas la bonne et que c’est vous l’élément perturbateur, petit salopard !
Certes, c’est valable dans tous les milieux de passionnés, mais c’est d’autant plus marquant quand le milieu en question est minuscule.
Enfin, la sphère comics induit une certaine pression sociale à ses membres.
Si vous êtes un vrai fan de comics, vous devez avoir beaucoup de comics, c’est comme ça.
Il n’est donc pas rare de voir des lecteurs néophytes claquer chaque mois des centaines d’euros dans des livres qu’ils n’auront matériellement pas le temps de lire pour renforcer leur appartenance à cette nouvelle famille, trouvant dans les retours émerveillés de la communauté de quoi combler leur besoin de reconnaissance et leur solitude.
Loin de moi l’idée de les blâmer, au contraire. Dans cet enfer de la “collectionnite”, on entrevoie la désormais inévitable course aux like et autres joyeusetés imposées par les réseaux sociaux. Les gens n’existent plus pour ce qu’ils sont ou pour ce qu’ils produisent, mais pour ce qu’ils paraissent et ce qu’ils possèdent.
Les comics deviennent des achats de principes, non plus parce qu’on veut les lire, mais uniquement pour suivre la hype.
Retenez quand même que si l’achat d’un livre vous met en colère, vous gâche votre journée, ou pire, vous met en galère de thune, c’est qu’il est temps de lever le pied.
Le tableau que je dresse ici est peu flatteur, mais il est aussi réaliste. Parce que s’il est plus agréable pour certains de faire comme si tout était parfait, il est surtout nécessaire de savoir regarder la réalité en face pour corriger nos défauts. Sinon, il ne faudra pas s’étonner que beaucoup de lecteurs potentiels fassent rapidement demi-tour.
C’est facile à dire !
C’est bien beau de critiquer, mais qu’est-ce qu’on fait pour changer ça ?
Je le disais un peu plus haut, le problème de la facilité d’accès aux comics est l’une des questions cruciales à mes yeux.
S’il est toujours de bon ton de cracher sur Panini pour ses choix éditoriaux douteux et son catalogue labyrinthique, Urban Comics, souvent salué pour la façon dont il a transformé en profondeur le marché français, a dernièrement pris un virage semblable à son concurrent italien, démultipliant les collections et les formats, de façon assez peu compréhensible.
Entre Urban Indies, Urban Cult, Urban Link, et un Black Label qui ne correspond pas réellement à celui de DC Comics aux USA, auxquels il faut ajouter une collection proche du format franco-belge et des versions “deluxe” à tirage limité, pas sûr que le lecteur débutant comprenne vraiment à quoi il a à faire…
Du côté des “petits” éditeurs, et bien que certains soient parfois accolés à des groupes éditoriaux bien plus importants, comme c’est le cas pour Glénat ou Hi Comics, les imperfections sont souvent excusées par la volonté de bien faire.
Mais les petites structures tenues à bout de bras par des passionnés souffrent de toute évidence de manques ou parfois, plus étonnamment, d’excès. Que ce soit des soucis de communication ou de cohérence de catalogue et de formats, gérer avec la passion dans un monde de financiers, c’est beau, mais c’est aussi risqué quand il faut vendre pour exister.
En comparaison, si la catégorisation des mangas (shonen, seinen, shojo…) est parfois réductrice, elle a au moins le mérite d’annoncer clairement la couleur en terme de contenu et de public visé à quiconque ayant acquis les bases du médium.
Peut-être que revenir à une classification simple, par genre, rendrait l’accès plus simple, mais permettrait aussi d’afficher clairement dès le premier contact que les comics ne sont pas que des histoires de super-héros, cliché réducteur très présent dans l’esprit du grand public.
Il en va de même pour le choix des formats, toujours plus grands, toujours plus beaux, toujours plus chers, qui tend à oublier la nature populaire de la bande dessinée, qu’elle soit européenne, américaine ou asiatique.
En fait, l’une des erreurs est peut-être de chercher à séduire le lecteur de bande dessinée “classique”, celui qui ne pense qu’au format franco-belge quand on lui parle de BD. Certes, il est sûrement celui qui dispose du budget le plus conséquent, mais en tant que lecteur installé, et plus âgé, quel potentiel représente-t-il pour l’avenir ?
Je sais que certains sont attachés aux “beaux livres”, et c’est une bonne chose, mais quel néophyte ira dépenser 50 euros dans un bouquin dont il ignore tout ?
Les rayons des librairies manquent encore cruellement de rééditions à petit prix, et si les bibliothèques, les médiathèques et autres bouquinistes sont d’excellents moyens de se lancer avec une prise de risque minimum, encore faut-il pousser un non-lecteur à y entrer.
Si c’est si compliqué, c’est aussi parce que la sphère comics se mord la queue en se parlant avant tout à elle-même.
De la même façon que les éditeurs misent sur des lecteurs de longue date prêts à dépenser beaucoup d’argent, les créateurs de contenus, bloggeurs et autres influencers s’adressent majoritairement à des gens qui sont déjà lecteurs de comics.
J’en sais quelque chose, ce n’est pas toujours facile d’encourager les gens à ouvrir un comic book, même en démontrant par A+B que son contenu va bien plus loin qu’une énième baston entre deux personnages en collants fluorescents.
Insister sur la richesse du background, sur l’aspect culturel et social du message des comics depuis des décennies et sur la diversité de récits proposés me semble très important pour éveiller la curiosité de potentiels lecteurs, et cet aspect n’est bien souvent que trop timide dans ce que je vois passer sur les réseaux sociaux.
Beaucoup d’influencers participent, parfois malgré eux, à cette éternelle mise en avant de leurs dépenses et des comics qui s’entassent sans êtres lus. Une image qui fait peut-être rêver leurs confrères, mais qui est presque effrayante pour un non-initié dont le budget n’est pas extensible à l’infini.
D’ailleurs, la responsabilité de chacun dans le message qu’il renvoie n’est que trop rarement rappelée.
Dans un si petit milieu, le simple fait d’avoir quelques dizaines ou centaines d’abonnés vous donne déjà une énorme responsabilité et une importante influence sur les comportement d’autrui, que vous vous sentiez “influencer” ou non. Quand on sait que certains titres indés peinent à atteindre quelques centaines d’exemplaires vendus, pouvoir influencer le choix de plusieurs dizaines de personne est déjà capital.
Cela rejoint aussi le rapport compliqué entre éditeurs, influencers et lecteurs, la frontière entre ces deux dernières catégories étant de plus en plus floue sur les réseaux sociaux.
En effet, la sphère comics m’a toujours semblé bien plus réticente que les autres à la promotion de sa propre passion, ce qui est parfois très paradoxal.
Si un créateur de contenu vient à assumer ouvertement et honnêtement son partenariat avec un éditeur, il sera automatiquement qualifié de vendu ou de malhonnête par une partie de la communauté, l’autre se gardant bien de prendre position, au cas où son tour d’être chahuté viendrait prochainement.
De la même façon, je n’ai aucun souci avec les créateurs de contenu qui gagnent leur vie grâce à ce qu’ils produisent. C’est même normal. Ce qui est incroyable, c’est que la pression exercée par le public les pousse à le cacher ou le minimiser.
Le résultat, c’est qu’aujourd’hui, les éditeurs de comics semblent plutôt frileux à l’idée de miser sur des influencers spécialisés dans ce domaine. (Ce qui inclut les vidéastes, les bloggeurs, les podcasters, et tous les autres créateurs de contenu, quel que soit le statut qu’ils revendiquent…)
De ce que j’ai pu constater ailleurs, en matière de mangas ou de jeux vidéo, cet état d’esprit très fermé face à la promotion et aux partenariats est excessivement présent dans un milieu de niche comme le notre.
Toute activité publique implique un besoin de satisfaire son ego. Au mieux, ceux qui vous soutiennent le contraire n’en sont pas conscient, au pire, il vous la font à l’envers.
Mais l’hostilité manifeste de certains à l’égard des partenariats rémunérés ou même de l’envoi de services de presse aux créateurs de contenu (qui, rappelons-le, n’engagent qu’à produire une critique du livre, sans aucune pression ni rémunération de l’éditeur) pousse la majorité d’entre eux à la discrétion, et même à une certaine confidentialité forcée, histoire d’éviter les shitstorm générées par le premier anonyme revanchard trompant son ennui sur internet.
Je mets les choses au clair : le statut d’influencer résume pour moi le rôle de toute personne affichant publiquement sa passion et parlant de ses lectures.
Si beaucoup endossent ce rôle d’influencer bien volontiers, pour différentes raisons, personne ne se revendique comme tel dans le milieu des comics, car le terme reste très péjoratif. Certains et certaines martèlent même avec insistance qu’ils ne sont pas “influencer” ou “youtuber”. Mais quand on sait activer la monétisation de sa chaîne Youtube ou réclamer du service presse à des éditeurs, le minimum est d’accepter d’être qualifié ainsi, rien que par honnêteté envers ses abonnés.
À l’heure où des événements comme le Z Event mobilisent une foule colossale autour d’une même cause grâce à des personnalités du web, ne serait-il pas temps d’accepter que les éditeurs et les influencers puissent travailler main dans la main pour mettre en avant la bande dessinée américaine et faire de la lecture une vraie cause à défendre ?
Les comics et leur promotion ne sont pas qu’une affaire de passion, c’est aussi une affaire d’argent, et sans cet aspect commercial notre centre d’intérêt commun tend à disparaître faute de public.
Bien sûr, tout ça est à repenser à taille humaine, dans un marché dont les chiffres sont très éloignés de ceux des blockbusters du jeu vidéo. Mais constater que c’est impossible, même à petite échelle, me laissera toujours perplexe.
Enfin, si les gens ne veulent pas lire, ne faut-il tout simplement pas l’accepter ?
En tant que lecteur cette question peut ressembler à une provocation, mais il faut aussi savoir se mettre à la place de l’autre.
Aussi passionné de tricot que vous soyez, vous aurez du mal à me convaincre de m’y mettre. Et pourtant, je ne doute pas qu’il y a derrière cette noble activité tout un marché à soutenir et une vraie communauté de passionnés à découvrir.
Alors, vouloir pousser à tout prix les gens à lire des comics a-t-il vraiment un intérêt ? N’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez !
Évidemment, cet article déjà trop long est loin d’être exhaustif, et mes connaissances de l’envers du décor ne sont que parcellaires. Vous pourrez le trouver cynique, et il ne vous fera sûrement pas changer d’avis si nous sommes en désaccord, mais j’espère qu’il aura au moins le mérite de synthétiser les travers de notre petit milieu, et d’inspirer quelques pistes à chacun de ses acteurs.
Jusqu’à la prochaine fois, n’hésitez pas à me suivre sur Twitter et à partager cet article sur les réseaux sociaux s’il vous a plu !
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le comics c'est un truc de vieux gars qui ont grandi dans les 70's 80's ça demande une discipline de lecture non reproduite par les autres secteurs Les novices se sentent écartés par le niveau de connaissance des vieux lecteurs et des jeunes les + acharnés Les seuls titres ayant une vraie forte audience en france sont les simpsons et walking dead Autre fait les naruto et luffy datent des années 90 ils sont déjà dans une vague plus sexy que les héros des années 30 ou 60
Bonjour Chris et merci pour ces réflexions, qui rejoignent les miennes, et auxquelles on apportera nos réponses dans un avenir proche.
Une question : c’est quoi exactement ce concept de « grande famille » auquel tu fais référence ?
Sinon, pour faire écho de loin à ton dernier questionnement, mon optimisme me pousse à croire en l’existence de cycles. Après son effondrement il y a 10-15 ans, le manga explose à nouveau aujourd’hui grâce à une conjonction de plus facteurs comme ça a été le cas, toutes proportions gardées, pour les comics il y a justement 10 ans. On avait vu à l’époque une vraie logique de vase communiquant avec des libraires qui vidaient leurs rayons manga pour les remplir de comics.
Il suffit parfois d’une œuvre fédératrice ou d’un contexte particuliers pour remettre un « genre » (même si comics = genre pluriel) sur le radar du plus grand nombre.
On verra ce que 2022 nous réserve :)