C’est LE sujet qui anime la sphère comics francophone depuis des semaines : le marché se porte mal, et chacun accuse son voisin de ne pas en faire assez, ou parfois d’en faire trop. Voici mon point de vue très personnel sur cette situation.
Guerre de Clochers
J’en parlais il y a quelques semaines, l’accès à la bande dessinée américaine en France reste très complexe pour un tas de raisons.
C’est un marché de niche dont le public peine à s’élargir malgré le carton des blockbusters au cinéma, et qui, paradoxalement, doit ses succès récents en terme de ventes à des offres à petit prix destinées en priorité aux nouveaux lecteurs. Rien que ça, ça pose question.
On le sait, la part de la catégorie Comics sur le marché de la BD est très faible, et bien que différente en fonction des critères retenus, elle varie, au mieux, entre 4 et 10% des ventes. C’est peu, surtout quand on se souvient qu’une partie de ce pourcentage concerne justement nos fameuses offres découverte qui relèvent plus de l’achat compulsif et occasionnel que d’une véritable conversion au genre.
Aussi, depuis maintenant un certain temps, on voit s’élever plusieurs voix dénonçant tel ou tel problème qui serait responsable de ces mauvais chiffres.
Évidemment, chacun prêche pour sa paroisse et on assiste rarement à de réelles remises en question.
La situation est très bien résumée par Thomas Rivière d’Original Comics dans l’une de ses dernières vidéos.
Il existe de toute évidence un problème de communication de la part de tous les éditeurs de comics français.
Les raisons sont multiples : maîtrise tardive et souvent bancale des réseaux sociaux, absence de communication chez les libraires, absence d’échanges constructifs avec les influencers, y compris en dehors des gens spécialisés dans la bande dessinée américaine… Sur ce point, il y a énormément d’efforts à faire.
On peut ajouter à ça que le récent report du Festival d’Angoulême a visiblement découragé plusieurs éditeurs de comics d’y participer, officiellement pour des raisons logistiques et organisationnelles. Quoi qu’il en soit, cette absence d’éditeurs de BD dans un salon qui s’adresse à un public déjà lecteur de BD ne peut qu’être dommageable à la représentation de leurs publications, et donc invisibiliser un peu plus les comic books, déjà rarement mis en avant.
Ce problème de communication se couple à un problème de transparence et de conflits d’intérêts.
Dans un si petit milieux, nombreuses sont les personnes à porter plusieurs casquettes : éditeur-influencer, influencer-traducteur, community manager-chroniqueur, chroniqueur-traducteur, et j’en passe.
Soyons clairs : je ne reproche pas à ces gens de chercher à gagner leur vie, ni de le faire en vivant de leur passion. Par contre, quiconque sachant dépasser les discours commerciaux et les images publiques comprend que nul ne peut être totalement objectif quand il fait la promotion d’un livre dont dépendront potentiellement ses futures missions professionnelles. Et ça, même si, une fois encore, on parle d’un tout petit marché avec des chiffres qui n’ont rien de mirobolants.
Si ce point vous semble hors-sujet, il faut bien comprendre que cette frontière beaucoup trop floue entre les différents acteurs ne peut que nuire à une communication claire et fiable envers un lectorat qui, je le pense sincèrement, n’est pas dupe.
Lorsque l’achat d’un comic book par un lecteur n’est plus lié à son envie propre de le découvrir, ou à la recommandation d’une personne extérieure, l’effet est à double tranchant : un éditeur ou un traducteur brouillant les lignes en jouant les influencers peut, bien entendu, avoir un effet bénéfique sur les ventes en profitant de son image ou de sa communauté.
Mais quid du cas dans lequel le lecteur sera déçu par son achat ? Quel crédit donner par la suite aux prochaines recommandations de cette personne quand on sait que son point de vue peut être faussé par ses propres intérêts ?
Le risque, à l’usure, serait de définitivement tromper la confiance du lectorat et d’en payer les conséquences en terme de ventes.
La Classe Américaine
Je ne parlerai pas aujourd’hui de la qualité du contenu des comics proposés par les éditeurs français, qu’il s’agisse des productions DC, Marvel, ou des indépendants, pour la bonne raison que c’est un tout autre débat.
D’après moi, le souci est de toute façon bien plus lié à une difficulté d’accès qu’à un contenu qui serait médiocre, surtout si on prend en compte que pratiquement toutes les périodes éditoriales sont représentées aux catalogues des éditeurs.
On passera également sur les fantasmes de puristes venus d’un autre âge, rêvant du retour des kiosques à trois francs, pour se concentrer sur la réalité de la situation.
Les multiples formats et une classification globalement peu explicite ne facilitent absolument pas l’accès aux comics pour les néophytes.
La France est un pays de bande dessinée habitué à des codes bien établis, et la mise en place d’une classification simple et compréhensible de tous pourrait ouvrir la porte à de nouveaux lecteurs venus du Franco-Belge ou du Manga.
En lieu et place des “Deluxe”, “Cult”, “100%”, et autres “Link”, dont l’appellation est déjà beaucoup trop floue pour un initié, ne serait-il pas plus simple de revenir à un classement fondamental reprenant le genre en toutes lettres, appuyé d’un code couleur, et que tous les éditeurs pourraient appliquer de concert à leurs collections, en plus d’un autre label, si ça leur fait plaisir.
“Super-Héros”, “Science-Fiction”, “Historique”, “Fantasy”, des termes simples et compréhensibles au premier coup d’œil par n’importe quel quidam, au-delà d’un format qui souffre parfois des stéréotypes que l’on connaît.
La recette ne me paraît pas difficile à mettre en place, et dans un si petit milieu où tout le monde est dans le même bateau quand il s’agit de galérer, partager cette classification pourrait offrir une uniformisation rassurante pour le primo-lecteur souhaitant retrouver facilement des thématiques qu’il apprécie dans un rayon comics paradoxalement aussi réduit que labyrinthique dans beaucoup de boutiques.
Ce n’est qu’une piste parmi tant d’autres, et je suis loin d’être légitime pour interférer dans les choix éditoriaux de personnes bien plus calées que moi sur le sujet.
Mais je pense qu’écouter les recommandations constructives faites par les lecteurs est aussi un point sur lequel le monde de l’édition a encore de grands progrès à faire…
C’est pas ma faute à moi…
Comme je l’ai déjà évoqué dans mon précédent article, le prix est un frein manifeste à la conversion de nouveaux lecteurs.
Si Panini et Urban tentent différentes opérations pour donner naissance à des produits d’appel mêlant classiques et formats surprenants, les petits éditeurs ne bénéficient pas toujours des mêmes possibilités.
Mais pour commencer, je pense qu’il est important d’être prudent avec le terme “petit éditeur”, tout relatif si on déroule un peu les liens de chacun avec d’autres structures.
Ainsi, un “petit” éditeur de comics peut tout à fait être une branche d’un éditeur généraliste installé, lui-même filiale d’un grand groupe d’édition.
Pour parler clairement, un “petit” éditeur ne doit parfois cette position qu’à des décisions commerciales et stratégiques de sa maison-mère, qui préfère sans doute investir dans le manga, les ouvrages sur la Pop Culture, ou la littérature plus classique, plutôt que dans le comics.
Certes, ce “petit” éditeur n’est pas responsable de ces choix, mais il faut faire attention à ne pas reporter ces décisions, motivées par la promesse de retours sur investissement, sur les épaules des lecteurs déjà très sollicités et dont le portefeuille n’est pas extensible à l’infini.
Être conscient que le marché de niche qu’est celui des comics est proche de la saturation, car objectivement inondé de rééditions dans différents formats et de nouveautés qui peinent à trouver leur place, mais demander aux lecteurs de ne plus choisir leurs lectures par envie, mais par principe, pour soutenir une filiale délaissée par sa maison-mère, c’est la pire politique possible.
En somme, comme souvent, on demande à ceux qui sont ou bout de la chaîne de faire des efforts pour soutenir tout une filière, alors que ceux qui sont tout en haut n’en font aucun et restent les grands gagnants quand vient l’heure des comptes.
Cette culpabilisation du lecteur, qui devrait considérer ses achats comme des choix quasi politiques, est une hérésie contre-productive.
N’oublions pas que dans un monde loin d’être idyllique, la lecture est un loisir, parfois couteux, qui doit rester un plaisir, un divertissement.
Adjoindre, à ce qui est une passion, des contraintes autant morales que financières ne peut avoir aucun effet bénéfique sur la durée, et il est important de s’en souvenir.
Plutôt que de tout faire reposer sur le lecteur, les éditeurs, “petits” comme “grands”, devraient en premier lieu pratiquer un minimum d’auto-critique, ne pas se contenter d’écouter uniquement les retours dithyrambiques sur leur travail, et mettre en place une communication claire et aussi neutre que possible en se détachant des codes du monde de l’influencing.
Quant aux lecteurs, qu’ils se contentent de s’évader en vivant leur passion du mieux qu’ils peuvent, c’est déjà beaucoup aujourd’hui.
Jusqu’à la prochaine fois, n’hésitez pas à me suivre sur Twitter et à partager cet article sur les réseaux sociaux s’il vous a plu !
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QUI A TUÉ LES COMICS EN FRANCE ?
Je collectionne les comics depuis plus de 20 ans. A la base ce sont les dessins animés qui m'ont aider à me plonger dedans. J'ai toujours prévu un petit budget mensuel pour acheter mes séries (Wolverine/XMen/Spiderman). Budget qui vient récemment d'exploser chez Panini Comics avec une prix de 16 euros pour un seul bi-mensuel X-men justifié par une hausse de la qualité des produits. Malheureusement oui c'est un frein. Ma décision a été prise : je finis le run d'Hickman et j'arrête complètement. Me reste certaines Integrales, comme Judge Dredd ou New Mutants, ou éventuellement des séries terminées comme celles que tu as su nous suggérer tel The Boys ou Preacher! Et merci pour me les avoir fait connaitre!
Peut-être aussi que le nombre de lecteurs peine à augmenter car les éditeurs multiplient les relances artificielles au numéro 1 sans queue ni tête. Le plus bel exemple de ces manœuvres étant la série Thor scénarisée par Jason Aaron et dessinée par Russell Dautermann.